Certains traitements antidépresseurs efficaces pour prévenir les formes sévères de Covid-19, vraiment ?

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Certains traitements antidépresseurs pourraient-ils être efficaces en cure courte (10 à 15 jours de traitement) pour prévenir les formes sévères de Covid-19 en cas d’infection ? C’est en tous cas la promesse rapportée dans la presse ces derniers mois, notamment aux États-Unis. Mais sur quoi ces articles se fondent-ils ?
https://presse.inserm.fr/certains-traitements-antidepresseurs-efficaces-pour-prevenir-les-formes-severes-de-covid-19-vraiment/43755/


Plusieurs études publiées récemment suggèrent que certaines molécules aux propriétés antidépressives connues, et notamment la fluoxétine (Prozac®) et la fluvoxamine (Floxyfral®), prescrites depuis 30 ans à des millions de patients dans le monde, pourraient s’avérer bénéfiques dans la Covid. Pour faire le point sur les données disponibles à l’heure actuelle et sur les perspectives qu’elles ouvrent pour l’avenir, Canal Détox s’est penché sur le sujet.  

Depuis le début de la pandémie, de nombreuses équipes ont cherché à savoir si certaines molécules déjà autorisées pour le traitement d’autres maladies pouvaient également permettre de réduire les risques de formes graves, d’hospitalisation et de mortalité liés à la Covid. C’est ce qu’on appelle le « repositionnement thérapeutique ».

En France, l’équipe du Dr Nicolas Hoertel[1] et du Pr Frédéric Limosin1 s’est intéressée à cette question dès le début de l’épidémie. Ils ont constaté qu’aucun de leurs patients âgés hospitalisés dans leur service de psychiatrie, ne développait de forme symptomatique de Covid, même lorsqu’ils avaient été en contact avec des personnes positives. Or beaucoup de ces patients étaient traités par antidépresseurs. Ces chercheurs ont alors fait l’hypothèse que certains traitements antidépresseurs pourraient possiblement prévenir l’aggravation de la Covid. Cette hypothèse semblait d’autant plus pertinente que de nombreux traitements antidépresseurs ont des propriétés anti-inflammatoires bien connues, ciblant notamment des marqueurs inflammatoires associés aux formes sévères de la Covid (IL-6, IL-10, TNF alpha…). Il est d’ailleurs intéressant de souligner que le tout premier antidépresseur identifié, l’iproniazide, est un médicament « repositionné », puisqu’il s’agissait initialement d’un traitement antibiotique antituberculeux.
 
Valider l’hypothèse
Afin de conforter cette hypothèse, l’équipe a mené une large étude observationnelle portant sur 7 230 patients hospitalisés en Île-de-France pendant la première vague de Covid. Celle-ci a montré une association significative entre la prise d’un traitement antidépresseur dans les 48 heures suivant l’admission à l’hôpital et un moindre risque de décès ou d’intubation, potentiellement réduit de 44 %. Toutefois, les résultats suggéraient que cet effet n’était pas le même pour tous les antidépresseurs utilisés. Certains traitements tels que la fluoxétine étant plus fortement associés à la réduction de ce risque (réduction potentielle allant jusqu’à 74 %), tandis que d’autres antidépresseurs ne semblaient pas modifier ce risque, sans qu’il soit possible à ce stade d’expliquer pourquoi. Les résultats de cette étude ont été publiés dans la revue Molecular Psychiatry en février 2021.

D’autres travaux sont venus appuyer cette observation. Ainsi, une étude observationnelle menée en Espagne chez des patients hospitalisés pour Covid a retrouvé une association significative entre la prise d’un traitement antidépresseur et la réduction de la mortalité (réduction potentielle de 57 %). Par ailleurs, plusieurs études suggèrent que plusieurs traitements antidépresseurs, et particulièrement la fluoxétine, inhiberaient fortement la réplication virale dans différents modèles cellulaires, y compris l’épithélium pulmonaire humain, et pour différents variants. 
 
L’effet anti-céramide, mécanisme clé ?
D’autres travaux menés par des équipes de recherche des Universités de Duisburg-Essen et  d’Erlangen-Nuremberg en Allemagne ont permis d’aller plus loin, notamment en ce qui concerne la compréhension des mécanismes biologiques sous-jacents. Une étude publiée en novembre 2020 dans Cell Report Medicine ainsi qu’une autre parue en avril 2021 dans le Journal of Biological Chemistry ont ainsi conclu que les traitements antidépresseurs observés comme potentiellement efficaces contre la Covid sont ceux qui inhibent la sphingomyélinase acide (ASM), une enzyme présente dans les cellules et qui permet la synthèse de céramides, un sous-type particulier de lipides, à la surface des cellules. Parmi les antidépresseurs inhibant le plus fortement cette enzyme figurent notamment la fluoxétine, la paroxétine et la fluvoxamine (cette dernière molécule est très peu prescrite en France et en Europe, davantage aux États-Unis).

L’inhibition de cette enzyme ASM a pour effet de réduire la quantité de céramides à la surface des cellules. Or, ces deux études suggèrent que les céramides sont capables de piéger et de regrouper les récepteurs ACE2 du virus[2] à la surface des cellules, dont elles augmentent fortement l’infection par le SARS-CoV-2. La rapide diminution des céramides suite au blocage de l’enzyme ASM par certains traitements antidépresseurs freinerait donc nettement l’entrée du virus dans les cellules et sa capacité à se répliquer.
En outre, une étude publiée dans l’International Journal of Molecular Sciences en avril 2021 indique que la quantité de céramides dans le sang est associée au pronostic clinique des patients et au niveau d’inflammation dans le sang. Enfin, une étude parue en mai 2021 dans Clinical Pharmacology and Therapeutics rapporte une association significative entre la prise d’antidépresseurs inhibant l’enzyme ASM et une réduction du risque de décès ou d’intubation dans un échantillon de 2 846 patients hospitalisés pour une forme sévère de Covid. L’ensemble de ces données suggèrent que ces antidépresseurs inhibant l’ASM pourraient avoir un effet à la fois antiviral et anti-inflammatoire au cours de la Covid.
 
Que disent les essais cliniques ?
Afin de prouver formellement l’efficacité d’un traitement, il est essentiel de réaliser des essais cliniques randomisés. Aux États-Unis, un premier essai clinique incluant 152 patients symptomatiques pris en charge en ambulatoire, et dont les résultats ont été publiés dans la revue JAMA, a montré que les participants ayant reçu de la fluvoxamine pendant 15 jours présentaient un risque significativement plus faible d’aggravation clinique ou d’hospitalisation que ceux prenant un placebo (0 cas d’aggravation dans le groupe traité versus 8,3 % (n=6) dans le bras placebo).

Ces résultats ont été confirmés dans un deuxième essai clinique dit « ouvert » portant sur 113 patients symptomatiques et pris en charge en ambulatoire (pas de placebo ni de randomisation cette fois, le traitement était donné selon le choix des patients). Résultat : aucun des patients traités par fluvoxamine prescrit pour une durée de 14 jours n’a été hospitalisé et ne présentait de symptômes résiduels au bout de 2 semaines, contre respectivement 12,5 % et 60 % des participants non traités.
Suite à ces résultats prometteurs, plusieurs essais cliniques sont en cours ou sur le point de débuter dans différents pays (États-Unis et Brésil notamment) testant soit la fluvoxamine soit la fluoxétine, seules ou en association avec d’autres traitements potentiels.

Si ces résultats sont confirmés, cela permettrait d’ajouter à l’arsenal thérapeutique contre la Covid un traitement efficace, bien toléré, bien connu des médecins, mais aussi d’un faible coût et facilement disponible (la fluoxétine figure sur la liste des médicaments essentiels de l’OMS), permettant un usage large, en particulier dans les pays ne disposant pas d’un accès aux vaccins. Il faut toutefois noter que comme tous médicaments, les traitements antidépresseurs, même en cure courte, peuvent parfois entraîner des effets secondaires, le plus souvent mineurs (par exemple des céphalées ou des troubles digestifs). Ils nécessitent donc systématiquement une analyse de la balance bénéfice/risque individuelle et une surveillance par un professionnel de santé.

Enfin, les scientifiques insistent sur l’importance de continuer à approfondir nos connaissances sur l’effet de certains antidépresseurs sur les céramides. De fait, ce mécanisme d’action pourrait potentiellement ouvrir la voie à des innovations thérapeutiques dans d’autres pathologies, infectieuses et non infectieuses, et, peut-être, permettre de mieux comprendre comment les antidépresseurs agissent sur la dépression.

L’essai TOGETHER
Parmi les essais cliniques qui viennent de se terminer, on peut citer une large étude canadienne menée au Brésil, TOGETHER, dont les résultats viennent d’être communiqués. Incluant 1 480 patients (742 sous fluvoxamine versus 738 sous placebo), cette étude a retrouvé une réduction significative du risque d’hospitalisation ou d’observation prolongée aux urgences. Ce risque était diminué de 32 % (en gardant dans l’analyse dite en « intention de traiter » tous les participants, y compris ceux n’ayant pas pris le traitement) à 66 % (en ne gardant dans l’analyse dite « per protocole » que les participants ayant pris le traitement).
Dans cet essai, la réduction de la mortalité allait de 31 % (effet non significatif dans l’analyse en « intention de traiter ») à 85 % (effet significatif dans l’analyse « per protocole »). Enfin, le risque d’effets indésirables ne différait pas significativement entre les deux groupes.
Attention, il est important de souligner que les résultats prometteurs de cette étude, publiés en ligne et non dans une revue scientifique, nécessitent à ce stade une validation par les pairs et pourraient donc être amenés à évoluer, et qu’ils devront être confirmés par les autres essais cliniques en cours.
 
[1] DMU psychiatrie et addictologie, Hôpital Corentin-Celton – AP-HP et équipe UMR_S1266, Institut de psychiatrie et neurosciences de Paris (IPNP) (Inserm/Université de Paris)
[2] Le récepteur ACE2 est une protéine clé dans la physiologie de la Covid-19, nécessaire à l’entrée du virus SARS-CoV‑2 dans les cellules de l’hôte.
Texte rédigé avec le soutien du Dr Nicolas Hoertel* et du Pr Frédéric Limosinα
* Maître de conférences des universités-praticien hospitalier (MCU-PH) à l’Université de Paris, Inserm (unité 1266, Institut de psychiatrie et neurosciences de Paris) et l’AP-HP (Hôpital Corentin-Celton)
α Professeur des universités-praticien hospitalier (PU-PH) à l’Université de Paris, Inserm (unité 1266, Institut de psychiatrie et neurosciences de Paris ) et l’AP-HP et directeur médical du DMU Psychiatrie et addictologie
 

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