Covid : en Afrique, l’arnaque sans complexe au Citroplex

Le forum E-Med nous transmet cet article de "Libération"

Ah l'escroc Covid
Covid : en Afrique, l’arnaque sans complexe au Citroplex

D’après les informations de «Libération», un ancien trader reconverti dans le médicament, Marcos Matute, commercialiserait un prétendu traitement contre le coronavirus en Afrique. Le Citroplex n’est pourtant que le copié-collé d’un produit qu’il avait créé dans les années 2000, interdit en France en 2010 et en Suisse en 2016.

PAR LAURENT LÉGER DESSIN BENJAMIN ADAM
https://www.liberation.fr/societe/police-justice/covid-19-arnaque-frime-et-pharmaceutique-20210920_4NTUMLKMHVGEFGCDO2FYWTSXH4/

Le malheur des uns fait le bonheur des autres. Et même en temps de pandémie, certains ont le cerveau qui chauffe et des euros dans les yeux. Alors qu’à entendre la communauté scientifique, aucun traitement préventif ou curatif n’existe encore contre le Covid-19, un homme d’affaires au profil étonnant se verrait bien mettre la main sur le gâteau : il organise depuis plusieurs mois déjà la commercialisation d’un «médicament» contre le coronavirus. La planète entière le cherchait, il suffisait de téléphoner à Marcos Matute. Ancien trader de la finance, ex-salarié d’une banque suisse à la réputation douteuse, Intermaritime Bank, ce Suisse reconverti dans la pharmacie et désormais installé au Maroc après avoir longtemps vécu à Paris en est convaincu : il tient le remède miracle contre le Covid. Cette molécule apte à sauver la planète s’appelle Citroplex, et agirait sur l’organisme grâce à des protéines d’interféron - par l’activation du système immunitaire contre les infections virales. Sur le papier, pourquoi pas. Dans les faits, il semblerait qu’on en est encore loin.

Trêve de plaisanterie : son «traitement» n’est autre qu’un copié-collé d’un «médicament» qu’il avait lancé dans les années 2000, l’Immunoplex, déjà de l’interféron faiblement dosé, dont le parcours en pharmacie avait fait long feu. Il était censé selon lui guérir à l’époque autant l’herpès que l’hépatite C, la rougeole que la conjonctivite. Mais Marcos Matute, alors installé à Paris, avait reçu en mars 2010 un feu rouge drastique des autorités sanitaires françaises, qui avaient suspendu le fameux antiviral. «En l’absence de données pertinentes», la vente de ce produit «relève du charlatanisme» et serait «susceptible de présenter un danger pour la santé humaine», avait décrété l’Autorité française de sécurité sanitaire des produits de santé (Afssaps), devenue depuis Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM). Aucune trace d’interféron n’avait été dénichée. Certes, il ne semblait contenir qu’une inoffensive poudre de perlimpinpin, mais le danger provenait principalement de l’abandon des vrais traitements par les patients.
«MANQUE DE FONDS»

Quelques années plus tard, en 2016, c’est en Suisse que la justice a condamné cet homme d’affaires si inventif pour «violation de la loi sur les médicaments». Se passant du marché européen, Marcos Matute a finalement placé son remède sur le marché africain, principalement au Mali. Alors pourquoi n’a-t-il pas déposé en France et en Europe le dossier complet d’autorisation de mise sur le marché, ce sésame officiel sans lequel un médicament ne peut être vendu ? Simple manque de fonds, répond-il à Libération, arguant du fait que les études coûtent cher à produire. Peut-être craignait-il que les autorités ne réservent pas un accueil enthousiaste à son Immunoplex ?
En pleine épidémie de coronavirus en 2020, comme dans un jeu de bonneteau, Immunoplex a été rebaptisé Citroplex : un accord de fabrication a été signé avec une boîte canadienne et les sociétés distributrices ont été liquidées et remplacées par d’autres. Un «rapport d’étude clinique» daté du 31 mars, consulté par Libération, assure que 100 % des 40 cas de malades légers du Covid ayant reçu le Citroplex ont été guéris… contre 7 personnes seulement parmi les 40 ayant reçu de l’hydroxychloroquine, le fameux antipaludéen que le docteur Didier Raoult préconisait comme traitement. L’étude de douze pages, présentant Marcos Matute comme chef de projet, semble en tout cas d’une facture indigente. Dans la brochure commerciale présentant le «traitement», le nom d’Immunoplex figure encore à deux reprises : les rédacteurs ont oublié de le remplacer par Citroplex, preuve supplémentaire que le copié-collé n’a même pas été fait dans les règles de l’art…
Ce qui n’empêche pas l’inventeur de clamer que son «étude Covid a été avalisée par l’OMS locale et sous leurs directives». Son produit, plastronne Matute, aurait déjà reçu de miraculeuses autorisations de mise sur le marché, dans «une quinzaine» de pays d’Afrique, d’Asie et d’Amérique du Sud. Il ne détaille pas lesquels mais précise qu’«au Kenya et en RDC [république démocratique du Congo], les procédures sont encore en cours». A Kinshasa en tout cas, une autorisation provisoire a été délivrée en avril 2020, renouvelée en mai, afin d’évaluer «l’effet» de Citroplex ainsi que «sa sécurité». Le médecin congolais qui a signé le dossier remis aux autorités se prend d’ailleurs une commission sur chaque boîte de produit vendue.
«BIG PHARMA»

Drôle de personnage que ce Marcos Matute. A 56 ans, doté d’un bagout inépuisable, d’un aplomb phénoménal et d’un gros carnet d’adresses, arpentant il y a quelques années les rues de Paris dans une Maserati rouge à l’effet bling-bling assuré, ce petit malin n’est pas loin du véritable charlatan. L’un de ses contacts évoque carrément un trafic de «faux médicaments» dont cet «emberlificoteur» serait à l’origine. Mais l’intéressé, qui a dû répondre à diverses procédures, en France comme en Suisse, assure que son traitement contre le Covid-19 a fait ses preuves.
Il nous balance une poignée d’«études» censées valider son produit ainsi qu’un fatras d’articles généralistes où il n’est même pas question de Citroplex ni d’Immunoplex. Cerise sur le gâteau, il a déniché sur YouTube une interview du professeur Luc Montagnier - Prix Nobel de médecine en 2008, aujourd’hui décrié - vantant les mérites de l’interféron, qu’il fait tourner pour appuyer, selon lui, sa démonstration. Matute a été «formé» par Mirko Beljanski, le très controversé gourou qui assurait dans les années 80 pouvoir guérir le cancer et le sida, décédé avant qu’aboutissent les nombreuses plaintes déposées contre lui par le ministère de la Santé pour exercice illégal de la médecine ou tromperie sur la marchandise. Prescripteur de produits présentés comme «naturels», molécules actives ou simples compléments alimentaires, on ne sait trop, Beljanski s’était rendu célèbre en administrant à François Mitterrand des substances, probablement inoffensives, destinées à soigner le cancer du vieux président…
Rejouant à sa sauce le combat de David contre Goliath, Marcos Matute pointe du doigt «les chimères des autorités de santé française et suisse financées par le Big Pharma». Citroplex aurait d’ailleurs été proposé à «un grand groupe» de Seattle, aux Etats-Unis, qui serait «en train de réaliser d’autres études complémentaires pour confirmer l’efficacité». Impossible d’en savoir plus, le nom de ce laboratoire pharmaceutique est censé rester «confidentiel», se gargarise-t-il.
MARCHAND D’ARMES

C’est grâce à un homme d’affaires ayant pignon sur rue en Suisse, Serge Fradkoff, que Matute a développé son produit miracle. Ancien bras droit du joaillier Harry Winston, ex-actionnaire du magazine Connaissance des arts, il aurait investi quelque 5 millions d’euros dans l’opération, selon un proche, un chiffre démenti à Libération par Fradkoff qui assure «avoir toujours pensé, et encore aujourd’hui», que ce «médicament» était bien un «produit réel, aux résultats concrets». «Si on avait pensé à l’époque qu’il serait interdit en France, on ne l’aurait pas commercialisé, précise-t-il. Les commentaires des médecins traitants ont toujours été élogieux.»

Un personnage surprenant avait à l’époque donné un coup de main : Steve Bokhobza, un Franco-Israélien plus à l’aise avec le treillis camouflage des marchands d’armes - il est l’agent de la firme d’armement Beltech en Biélorussie - qu’avec les blouses blanches du secteur pharmaceutique. Notre homme nie avoir eu un rôle dans les sociétés développant l’Immunoplex : «Je ne me suis jamais intéressé aux ventes de médicaments.» Et pourtant, très implanté en Afrique, dont il fréquente les potentats, celui qui est qualifié de «petit putschiste» par le Canard enchaîné, car il a été soupçonné d’avoir participé à des tentatives de coups aux Comores et en Guinée, évoquait par mail la «commercialisation de l’Immunoplex». Bokhobza avait partagé un temps des locaux avec son ami Marcos rue du Colisée, près des Champs-Elysées, mais nie être l’auteur du message en question : Matute lui avait «effectivement parlé de son médicament», répond-il, mais des spécialistes lui auraient alors assuré «que ce n’était pas top». Il n’aurait donc, à l’entendre, «jamais fait d’affaires avec ce monsieur sur l’Immunoplex».

Un gourou, un joaillier, un marchand d’armes, on trouve de tout dans la galaxie du guérisseur autoproclamé du Covid. On y déniche ainsi les promoteurs d’une filière de vente de passeports diplomatiques, vendus sous le manteau rue de Bassano, à Paris, dont Libération a narré les aventures. Un projet de deal de vente de médicaments à la Libye, qui n’a finalement pas abouti, avait par exemple été monté avec cette officine, impliquant un autre de ses habitués : Daniel B., aujourd’hui en prison pour complicité de tentative de meurtres en bande organisée, appartenait à la cellule criminelle de barbouzes dont les membres, anciens du renseignement ou soldats de la DGSE, exécutaient des contrats qui intéressent très fortement la justice. Plus fortement en tout cas que l’intérêt que suscite la poudre de perlimpinpin de Marcos Matute vendue en terre africaine, bien loin de la curiosité tatillonne des autorités de santé européennes…

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