Vaccin covid-19 ChAdOx1-S (Vaxzevria°) de la firme AstraZeneca : un point sur les thromboses veineuses, mi-avril 2021
La revue PRESCRIRE nous informe et fait le point sur les complications thrombotiques veineuses du vaccin ASTRA-ZENECA.
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Le 7 avril 2021, l’Agence européenne du médicament (EMA) et des autorités britanniques ont considéré que des thromboses veineuses cérébrales et viscérales abdominales, associées à une diminution des plaquettes sanguines (thrombopénie), sont des effets indésirables très rares du vaccin covid-19 ChAdOx1-S (Vaxzevria°) à vecteur viral, de la firme AstraZeneca (1,2,3). Les données ont été recueillies surtout dans l’Union européenne et au Royaume-Uni. Mi-avril 2021, voici quelques points de repère sur la situation.
Pas de surcroît détectable des troubles thromboemboliques. Dans les résultats publics d’essais comparatifs étayant l’autorisation de mise sur le marché, il n’était pas apparu de signal de thromboses ; ces dernières ayant été rares dans les groupes vaccinés comme dans les groupes témoins .
En mars 2021, une étude a estimé le risque de thromboses veineuses profondes dans la population générale adulte à partir des bases de données de santé du Danemark. En se fondant sur l’incidence des thromboses veineuses profondes constatée entre 2010 et 2018 au Danemark, ce risque a été estimé à environ 91 cas par semaine ou 398 cas par mois pour 5 millions de personnes suivies, âgées de 18 ans à 64 ans (4). Le Comité de pharmacovigilance européen (PRAC) est arrivé à des estimations similaires à partir d’une base de données italienne. L’incidence des événements thromboemboliques semble environ doubler à chaque tranche d’âge de 10 ans ou 20 ans à partir de l’âge de 20 ans (5).
À la mi-mars 2021, après la vaccination d’environ 20 millions de personnes avec le vaccin covid-19 ChAdOx1-S dans l’Union européenne et au Royaume-Uni, l’EMA avait recensé 469 cas de troubles thromboemboliques survenus dans les premières semaines suivant cette vaccination (6). Mais on ne sait pas quelle a été la fréquence des oublis de notifications. Le PRAC a estimé que ce nombre de 469 cas ne constituait pas un signal de pharmacovigilance par rapport à la fréquence habituelle de ces troubles (6).
Des thromboses veineuses cérébrales et abdominales, des thrombopénies, des coagulations intravasculaires disséminées (CIVD).Depuis mars 2021, des coagulations intravasculaires disséminées (CIVD) et des thromboses veineuses cérébrales, notamment de sinus veineux cérébraux, ont été rapportées après vaccination par le vaccin covid-19 ChAdOx1-S, surtout chez des femmes âgées de moins de 55 ans (5,6). Or ces troubles sont exceptionnels chez les personnes en bonne santé, ce qui a conduit à envisager un lien avec ce vaccin (5). Une CIVD est un trouble de la coagulation qui se manifeste par des thromboses diffuses à l’origine d’une consommation excessive de facteurs de coagulation, puis par des hémorragies souvent diffuses, superficielles ou profondes.
En se fondant sur l’incidence de ces événements chez les personnes âgées de moins de 50 ans avant la pandémie de covid-19, le PRAC a estimé qu’il était prévisible d’observer dans les deux semaines suivant la vaccination au maximum 1 ou 2 cas de thrombose de sinus veineux cérébraux et 1 cas de CIVD, parmi les 9 millions de personnes qui avaient alors reçu le vaccin covid-19 ChAdOx1-Sdans l’Union européenne (6). Or à la même date, 12 cas de thromboses de sinus veineux cérébraux et 5 cas de CIVD avaient été notifiés dans l’Union européenne. Dans certains de ces cas, les thromboses ont été associées à des thrombopénies (6).
Selon les estimations rapportées par le PRAC, dans la population générale adulte, le risque de CIVD augmente avec l’âge, tandis que le risque de thrombose de sinus veineux cérébraux est relativement stable quel que soit l’âge (5).
Au 4 avril 2021, environ 34 millions de personnes avaient été vaccinées dans l’Espace économique européen (1). 169 thromboses veineuses cérébrales et 53 thromboses veineuses viscérales abdominales après vaccination par le vaccin covid-19 ChAdOx1-S, avaient été enregistrées dans la base européenne de données de pharmacovigilance (Eudravigilance ; Royaume-Uni inclus) (1). Cela représente la notification de 5 thromboses veineuses cérébrales et environ 1 à 2 thromboses viscérales abdominales pour 1 million de personnes vaccinées. Dans plusieurs de ces cas, les thromboses ont été associées à des thrombopénies (1,6).
Ce risque a été ajouté au résumé des caractéristiques (RCP) européen du 8 avril 2021 de la spécialité de ce vaccin, Vaxzevria° (7). Le RCP désigne les veines viscérales abdominales (autres que celles des reins) sous l’appellation veines splanchniques.
Quelques cas détaillés en France et en Europe. En France, au 1er avril 2021, les centres régionaux de pharmacovigilance avaient reçu le signalement de 9 cas de thromboses veineuses cérébrales et 3 cas de thromboses veineuses viscérales de l’abdomen, alors qu’environ 2 450 000 personnes avaient reçu une première injection de ce vaccin (8).
L’EMA a aussi donné le détail de 18 autres cas de thromboses veineuses cérébrales : 16 sont survenues chez des femmes et 6 ont été mortelles. Une thrombopénie a été rapportée dans 12 cas (5). L’Agence a aussi analysé les cas de 24 patients (dont 18 femmes) atteints de thrombose veineuse viscérale abdominale, probablement une thrombose de la veine porte chez 20 patients. Une thrombopénie a été rapportée dans 9 cas (5).
Au total, chez ces 54 patients, le délai médian entre la vaccination et la thrombose a été de 8 jours à 11 jours. L’âge moyen de ces patients était de l’ordre d’une quarantaine d’années, leurs âges s’étendant de 21 ans à 82 ans (5,9).
Surtout entre 30 ans et 49 ans. Des analyses du PRAC effectuées fin mars 2021 ont été rendues publiques le 13 avril 2021 (5). Au 22 mars 2021, 62 cas de thromboses de sinus veineux cérébraux et 24 cas de thromboses veineuses viscérales abdominales avaient été répertoriés dans la base de données Eudravigilance, dont 18 morts, alors qu’environ 25 millions de personnes avaient été vaccinées avec le vaccin covid-19 ChAdOx1-S à cette date dans l’Espace économique européen (1,5).
D’autres analyses, au 7 mars 2021, ont porté sur 7 CIVD, 13 thromboses de sinus veineux cérébraux, 182 événements thromboemboliques. Elles ont montré un risque accru de ces troubles dans la tranche d’âge 30-49 ans : risque de CIVD environ 5 fois plus grand que le risque de base (intervalle de confiance à 95 % (IC95) de façon statistiquement significative : 1,4 à 13,1) ; risque de thrombose de sinus veineux cérébraux environ 9 fois plus grand (IC95 : 4,3 à 15,3) ; risque thromboembolique global, artériel ou veineux, environ 1,3 fois plus grand (IC95 : 1,03 à 1,6) (5). Dans les autres tranches d’âge, la rareté des cas rend les analyses incertaines.
Il n’a pas été mis en évidence d’autre facteur de risque de thromboses après vaccination (15).
Mécanisme d’ordre immunologique ? Un mécanisme d’ordre immunologique est évoqué pour expliquer ce trouble qui associe thromboses et chute du nombre de plaquettes sanguines (1).
Selon cette hypothèse, la réaction immunitaire provoquée par le vaccin, entraînerait la formation d’anticorps dirigés contre les plaquettes sanguines et une activation des plaquettes conduisant à des thromboses. Une activation plaquettaire intense provoquerait une chute du nombre de plaquettes sanguines, avec risque hémorragique, comme cela a été observé dans plusieurs cas de thromboses de sinus veineux cérébraux (5).
Ce mécanisme est proche du mécanisme immunoallergique des thrombopénies à l’héparine, dites de type II, qui s’accompagnent de thromboses veineuses ou artérielles, qui surviennent dans les 5 à 14 premiers jours de traitement par héparine (5). Selon l’état actuel des connaissances, on ne sait pas comment sont formés les anticorps dirigés contre les plaquettes, des auto-anticorps induits par le stimulus inflammatoire de la vaccination ou des anticorps induits par le vaccin lui-même. Selon l’EMA cette hypothèse est confortée par la détection d’anticorps (anti-FP4) chez certains patients (5). Mais certaines recherches d’anticorps anti-FP4 ont été négatives chez des patients en France (9).
Rôle du vecteur viral ? Une autre hypothèse évoque un rôle du vecteur viral contenu dans le vaccin. Cette hypothèse est confortée par le signalement de thromboses du même type avec un autre vaccin dont le vecteur viral est un adénovirus, le vaccin covid-19 Ad26.CoV2‑S de la firme Janssen (lire ici) (5). Dans ce vaccin, le vecteur viral est un adénovirus humain de sérotype 26 (Ad26) dont le génome a été modifié, différent de celui du vaccin covid-19 ChAdOx1-Sde la firme AstraZeneca.
Au 13 avril 2021, aux États-Unis d’Amérique, 6 femmes âgées de 18 ans à 48 ans ont été victimes d’une thrombose d’un sinus veineux cérébral 6 à 13 jours après une dose du vaccin covid-19 de la firme Janssen ; une femme est morte (10,11). 7 millions de femmes avaient reçu ce vaccin. Cette annonce s’est accompagnée d’une suspension de l’utilisation de ce vaccin aux États-Unis et de son déploiement en Europe (12).
Syndromes de fuite capillaire ? Le 9 avril 2021, à la suite de l’enregistrement dans la base de données Eudravigilance de 5 cas de syndrome de fuite capillaire, une anomalie très rare de la perméabilité des vaisseaux capillaires, le PRAC a débuté l’analyse de ce nouveau signal de pharmacovigilance (13). Ce syndrome lié à une altération de l’endothélium des capillaires sanguins entraîne une diminution importante de la pression artérielle et des œdèmes (14).
Et avec les vaccins covid-19 à ARN messager ? L’EMA n’a pas détecté de signaux de pharmacovigilance analogues avec les vaccins à ARN messager (ARNm) (1). Selon une conférence de presse de l’EMA du 7 avril 2021, 35 cas de thromboses de sinus veineux cérébraux avaient été rapportés avec le vaccin à ARNm tozinaméran (Comirnaty°, des firmes Pfizer et BioNTech) sur 54 millions de personnes vaccinées ; et 5 cas avec le vaccin Sars-CoV-2 ARNm-1273 de la firme Moderna sur 4 millions de personnes vaccinées (15).
En France, selon l’Agence française du médicament (ANSM), au 9 avril 2021, il n’a pas été notifié avec le tozinaméran de cas de thrombose comportant une « spécificité particulière en faveur d’un rôle du vaccin », alors qu’au 1er avril environ 8 500 000 doses avaient été injectées (16).
De grandes incertitudes, d’où des recommandations différant selon les contextes. Comme souvent face à de grandes incertitudes autour des données, les positions varient largement d’un contexte à l’autre. Ceci explique les recommandations différentes des autorités de santé concernant l’utilisation de ce vaccin selon les pays.
Ainsi, le 7 avril 2021, les autorités britanniques, sur avis du Comité technique des vaccinations britannique (JVCI) considérant que ces thromboses très rares ont toutes été notifiées après la première dose de vaccin covid-19 ChAdOx1-S et non après la deuxième, ont invité les personnes ayant reçu une première dose de ce vaccin à en recevoir une deuxième dose comme prévu, quel que soit leur âge (3). Cette conclusion ne semble pas tenir compte du nombre encore faible de personnes qui ont reçu une deuxième injection. Pour le Royaume-Uni, ce comité a estimé aussi que, compte tenu du faible risque de covid-19 grave avant l’âge de 30 ans, l’utilisation du vaccin covid-19 ChAdOx1-S n’est à suspendre qu’avant cet âge (3).
En France, le 9 avril 2021, la Haute autorité de santé (HAS) a rappelé qu’elle recommande, suite au signal de ces thromboses très rares, de « réserver » le vaccin covid-19 ChAdOx1-S aux personnes âgées de plus de 55 ans (17). Chez les personnes âgées de moins de 55 ans ayant déjà reçu une dose de ce vaccin, la HAS a recommandé de compléter le schéma vaccinal par un vaccin à ARNm, dans un délai de 12 semaines après la première injection, au vu « d’un rationnel scientifique et de données encourageantes » et de résultats d’études immunologiques chez des animaux, mais sans données d’évaluation chez les humains de cette nouvelle « stratégie » vaccinale, dénommée « prime-boost hétérologue » (17).
En pratique, mi-avril 2021 : des thromboses très rares, mais à prendre en compte. Les systèmes de pharmacovigilance des pays européens et la vaccination de millions de personnes ont permis de détecter un signal très faible de thromboses veineuses, très rares mais graves, après vaccination avec le vaccin covid-19 ChAdOx1-S (Vaxzevria° de la firme AstraZeneca). Au vu de leur rareté, il est difficile d’en déterminer les facteurs de risque. La plupart des cas sont survenus chez des femmes, âgées de 30 ans à 49 ans. Il n’est pas exclu que cela reflète surtout la répartition des personnes ayant reçu ce vaccin.
L’EMA a décrit les symptômes justifiant d’évoquer une de ces thromboses très rares, observées le plus souvent dans les deux semaines suivant l’injection du vaccin : difficultés à respirer ; douleurs thoraciques ; œdèmes des membres inférieurs ; douleurs abdominales persistantes ; troubles neurologiques, ou céphalées persistantes ou troubles de la vision ; pétéchies (lésions cutanées rouges et planes, de quelques millimètres de diamètre, qui ne s’effacent pas à la pression) à distance du site d’injection (1).
Début 2021, l’intérêt du vaccin covid-19 ChAdOx1-S est une option d’efficacité avérée pour lutter contre l’épidémie de covid-19, sous réserve de l’émergence locale ou régionale de variants résistants à ce vaccin. À titre individuel, son intérêt est d’autant plus grand que les risques d’infection et de forme grave de covid-19 sont élevés, et que l’accès à un autre vaccin éprouvé est peu probable dans un délai relativement court.
La vaccination covid-19 s’ajoute aux autres mesures préventives, sans les remplacer.
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Sources :
1- EMA « AstraZeneca’s covid-19 vaccine: EMA finds possible link to very rare cases of unusual blood clots with low blood platelets » 7 avril 2021.
2- MHRA « MHRA issues new advice, concluding a possible link between COVID-19 Vaccine AstraZeneca and extremely rare, unlikely to occur blood clots » press release du 7 avril 2021.
3- JCVI « JCVI statement on use of the AstraZeneca COVID-19 vaccine » 7 avril 2021. Site www.gov.uk consulté le 8 avril 2021 : 3 pages.
4- Østergaard SD et coll. « Thromboembolism and the Oxford–AstraZeneca covid-19 vaccine : side-effect or coincidence ? » Lancet 2021 : 3 pages.
5- EMA « Signal assessment report on embolic and thrombotic events (SMQ) with covid-19 Vaccine (ChAdOx1-S [recombinant]) – Vaxzevria (previously covid-19 Vaccine AstraZeneca) (Other viral vaccines) » 8 avril 2021 : 117 pages.
6- EMA « Covid-19 Vaccine AstraZeneca : benefits still outweigh the risks despite possible link to rare blood clots with low blood platelets » 18 mars 2021 : 5 pages.
7- Commission européenne « RCP-Covid-19 Vaccine AstraZeneca » 8 avril 2021 : 32 pages.
8- CRPV d’Amiens – CRPV de Rouen « Enquête de pharmacovigilance du vaccin Vaxzevria° (Covid-19 Vaccine AstraZeneca) – Rapport n° 8 : période du 26 mars 2021 au 01 avril 2021 » : 29 pages.
9- CRPV d’Amiens – CRPV de Rouen « Enquête de pharmacovigilance du vaccin Vaxzevria° (Covid-19 Vaccine AstraZeneca) – Rapport n° 7 : période du 19 mars 2021 au 25 mars 2021 » : 31 pages.
10- FDA « Joint CDC and FDA statement on Johnson & Johnson COVID-19 vaccine » 13 avril 2021.
11- APM « Covid : la FDA recommande de suspendre l’utilisation des vaccins J&J en raison de soupçons d’effets secondaires » 13 avril 2021.
12- APM « Covid : le déploiement du vaccin J&J retardé en Europe et suspendu aux Etats-Unis » 13 avril 2021.
13- EMA « Meeting highlights from the pharmacovigilance risk assessment committee (PRAC) 6-9 April 2021 » 9 avril 2021 : 5 pages.
14- Aneja R « Idiopathic systemic capillary leak syndrome » UpToDate. Site www.uptodate.com consulté le 9 avril 2021 : 23 pages.
15- APM « L’EMA estime le rapport bénéfice-risque du vaccin Covid-19 d’AstraZeneca toujours positif » 7 avril 2021.
16- CRPV de Bordeaux – CRPV de Marseille « Enquête de pharmacovigilance du vaccin Pfizer – BioNTech Comirnaty – Rapport n° 12 : période du 26 mars 2021 au 01 avril 2021 » : 40 pages.
17- HAS « Covid-19 : quelle stratégie vaccinale pour les moins de 55 ans ayant déjà reçu une dose d’AstraZeneca ? » 9 avril 2021 : 5 pages.