Hommages au Professeur Ogobara Doumbo

Hommage au Professeur Ogobara Doumbo

Le grand Baobab est tombé. Trop tôt, trop brutalement. L’enseignement supérieur et la recherche et la science africaine sont ébranlés.

Né dans un village de la falaise Dogon du Mali dans le cercle de Koro, au milieu des années 1950, enfant de la brousse, Ogobara Doumbo poursuit ses études à Bandiagara, à Niono, avant d’entrer à la faculté de médecine de Bamako, dans la continuité de la tradition de thérapeute de ses aïeux.

Médecin, celui qui deviendra le « Prof Ogo » exerce d’abord la médecine et la chirurgie en zone rurale. Les habitants de Sélingué s’en souviennent encore. Il reviendra à Bamako pour suivre le Pr Philippe Ranque au sein du Département d’Épidémiologie des Affections Parasitaires (DEAP). La nécessité d’apprendre sans relâche s’impose. Il complète sa formation en France (notamment à Marseille) et aux USA, dans des domaines complémentaires, indispensables à l’étude du paludisme : biologie, parasitologie, écologie, entomologie, anthropologie, éthique, épidémiologie, biostatistiques…

Avec ses collègues maliens, il créera au sein du DEAP, le Malaria Research & Training Centre (MRTC) en 1992. Le MRTC obtiendra par la suite les labels de Pôle d’Excellence de l’Agence Universitaire de la Francophonie (AUF) et d’International Centre of Excellence for Malaria Research (ICEMR) du National Institute of Allergy and Infectious Diseases américain (NAID), témoignant ainsi de l’excellence de la recherche et de l’enseignement qui est réalisé, au plus haut niveau international.

Professeur de Parasitologie-Mycologie,  Directeur du MRTC, il était également chercheur de l’UMR IRD/INSERM/Aix-Marseille Université 1252 SESSTIM et Professeur Associé à la Tulane School of Public Health (USA). Travailleur infatigable, Il assurait, entre autre, la présidence du Conseil de la jeune Université malienne de Ségou, du Conseil d’administration du Centre d’Infectiologie Charles Mérieux (CICM) à Bamako, du Conseil Scientifique de l’IHU Méditerranée Infection, et était membre du Conseil d’Administration et du Conseil d’Orientation Stratégique de l’IRD.

Tout au long de sa carrière, les prix et titres ce sont accumulées, entre autres prix Christophe Mérieux, Honors Medical Society, Prince des Asturies, American Society of Tropical Medicine and Hygiene, Société de Pathologie Exotique, Prix International de l’INSERM, Légion d’Honneur (France), Ordre du Mérite (France), Ordre National (Mali), Palmes Académiques (CAMES). Il était correspondant de l’Académie Nationale de Médecine (France) et membre de l’Académie Africaine des Sciences. Malgré cette liste non exhaustive de distinctions internationales impressionnantes, le Pr Ogobara Doumbo a toujours gardé la tête froide. D’une humilité et d’une générosité rares, il ne parlait qu’au nom de son équipe, mettant toujours en avant les autres chercheurs. Il mettait sa notoriété au service de l’équipe, réinvestissant les prix reçus dans le MRTC.

Un aspect majeur de sa contribution a été un modèle de développement de compétences et de capacités d’enseignement et de recherche, par les maliens pour les maliens,  anticipant, après une formation au plus haut niveau international,  l’intégration professionnelle des jeunes chercheurs, un plan de carrière dans le pays d’origine, et de réels partenariats internationaux multiples et équilibrés. Avec une vision panafricaniste volontariste, il n’a cessé de soutenir les autres pays d’Afrique dans la lutte contre le paludisme.

Il est vain de dénombrer ses publications scientifiques et ses projets de recherches aboutis. Tous sont de qualité remarquable. Ses très nombreux élèves, non seulement maliens mais également africains, européens, américains et asiatiques, témoignent tous d’une rigueur scientifique, d’une honnêteté et d’une bienveillance exceptionnelle.

Il centrait toutes ses réflexions sur les personnes, et tous ces travaux visaient le bénéfice des plus vulnérables. Son investissement avec l’ONG Santé Sud pour la mise en place des médecins de campagne à la fin des années 80 au Mali  est un exemple de ce souci permanent de la santé des populations. Défenseur de politiques de santé basées sur les preuves scientifiques, ses travaux de recherches étaient toujours menés en symbiose entre chercheurs, villageois et équipes soignantes locales : « Si l’on veut réellement combattre le paludisme, il faut revenir dans les villages ». Le MRTC compte actuellement une dizaine de sites de recherche. L’installation d’un site a toujours été prévue pour le très long terme : eau potable, électricité, connexion internet, école et routes sont installées ; les équipes de chercheurs sont intégrées au système de soins des villages, apportant une aide au diagnostic, à la prise en charge et à la formation des professionnels de santé, dans un objectif de développement durable.

Cette recherche d’excellence au service des plus vulnérables a permis de nombreuses avancées majeures dans la lutte contre le paludisme, notamment la mise en place de traitements et de stratégies de lutte innovantes. On peut souligner par exemple que le Professeur Ogobara Doumbo et son équipe sont à l’origine du traitement préventif intermittent au cours de la grossesse (Intermittent Preventive Therapy for Pregnant women ITP-p) et du traitement intermittent préventif chez les enfants de moins de 5 ans (Seasonal Malaria Chemoprevention SMC, ou ITP-infants), 2 stratégies efficaces actuellement recommandées par l’OMS.

Ces dernières semaines, Prof Ogo nous recommandait d’utiliser une approche systémique pour identifier et lever les « goulots  d’étranglement » actuels dans la lutte contre le paludisme.

Ceux qui ont grandis, protégés par l’ombre du grand baobab et nourris de ses fruits, doivent continuer, unis, sur le chemin qu’il a tracé. Travailleur infatigable, d’une humanité sans faille, le Prof Ogo nous a éclairés. Il n’y a pas d’autre choix, le combat n’est pas terminé. Il incombe à chacun de nous de conserver et faire fructifier l’héritage qu’il nous a légué. Notre devoir est de poursuivre le travail ensemble, unis, et, ainsi, faire vivre et porter haut et loin sa mémoire.

 Jean Gaudart (UMR SESSTIM, Marseille), Cheikh Sokhna (UMR VITROME, Dakar), Stéphane Ranque (UMR VITROME, Marseille)

Comments

  1. Oui, le Mali et le monde de la recherche biomédicale pleurent le professeur DOUMBO, éminent spécialiste de la lutte contre le paludisme au Mali et à l échelle international.
    Aujourd’hui, la nation toute entière lui rend un dernier hommage!!!!
    Directeur de ma thèse de médecine de 2006-2008, j’ai bénéficié de son encadrement de qualité, de son charisme dans la lutte contre le paludisme et de son précieux soutien.
    Il a été pour moi, un proche parent, un model de rigueur scientifique, de courage , de persévérance et d’une grande simplicité.
    Mes condoléances les plus attristés à toute sa famille et a tout le personnel du DEAP/MRTC.
    « Que ton âme repose en Paix, Tonton OGO » Merci d’avoir été à nos cotés!!!

  2. Nous joignons toutes nos condoléances attristées à celles du Dr Nana Kodio, boursière ANIMA lors de ses études médicales à Bamako.
    Ce fils de paysans Dogon, né dans un village perdu est parvenu à plaider la cause de la recherche sur la paludisme face à Bill Clinton, aux époux Gates ou au roi d’Espagne Félipe. Son modèle de lutte se fondait sur deux piliers:un centre de recherches de très haute technologie à Bamako et une dizaine de sites répartis sur le territoire malien.
    Voir l’article nécrologique du journal LE MONDE en date de ce jour 16 juin.
    Professeur « Ogo » que la terre vous soit légère….

  3. Hommage de la Nation au Professeur Ogobara Doumbo : IBK à l’accueil de la dépouille de l’illustre disparu

    Publié il y a 2 mins • Niarela •

    Le Président de la République, Chef de l’Etat, Grand Maître des Ordres Nationaux du Mali, Son Excellence Monsieur Ibrahim Boubacar Keïta, était présent ce jeudi 14 juin 2018, jour de la célébration de l’Aïd El Fitr, à l’aéroport international Président Modibo Keïta de Bamako-Sénou pour participer aux instants solennels de l’arrivée dans son pays du cercueil contenant la dépouille du Professeur Ogobara Doumbo, éminent chercheur malien contre le paludisme, décédé le 9 juin 2018 à l’âge de 64 ans à Marseille (France).

    Très ému, le Chef de l’Etat était entouré par le Premier ministre, Chef du gouvernement, les Présidents des Institutions de la République, les membres du gouvernement, le Ministre Secrétaire Général de la Présidence de la République, le Ministre Directeur de Cabinet du Chef de l’Etat, le Gouverneur du District de Bamako et de nombreuses personnalités maliennes et étrangères.

    Après le cérémonial d’accueil du cercueil, le Président de la République, à la tête du cortège funèbre, a accompagné la dépouille mortelle à la morgue de l’Institut Marchoux de Djicoroni Para où aura lieu la levée de corps le samedi 16 juin 2018.

    Dès l’annonce du décès du Professeur Ogobara Doumbo, le Président de la République a rendu un vibrant hommage en l’honneur de l’illustre disparu, soulignant son sens élevé du patriotisme. Recevant ce jour-là une délégation de la Ligue malienne des musulmans et érudits du Mali (LIMAMA), IBK avait ainsi déclaré, hors micros et caméras : « Nous avons perdu une éminente personnalité de notre pays et du monde. Tout a été mis en œuvre afin qu’il survive, il a été assisté constamment par ses amis médecins à l’hôpital de Marseille où il avait suivi ses études mais Allah a fait son travail omniscient ce samedi 9 juin 2018 au matin en rappelant à lui le Professeur humble qui, se comportant comme un infirmier, allait dans son village durant ses vacances pour soigner ses semblables gratuitement. Il est celui qui a mis au point un vaccin contre le plasmodium du paludisme et a porté haut le drapeau du Mali. Prions pour lui, nous lui pleurons tous. » Le Président de la République avait alors été soutenu dans son témoignage par un imam qui, surgissant de la délégation de LIMAMA, avait témoigné que le défunt priait dans sa mosquée sur la première ligne.

    Des funérailles nationales sont prévues le samedi 16 juin 2018 à 10 heures sur l’avenue de l’Indépendance – en cas de pluie, elles se déplaceront au Palais des Sports de Hamdallaye – afin de permettre à toute la nation de rendre un dernier hommage mérité à « l’enfant lumière, celui-là même qui a rendu un grand service à toute l’humanité », a insisté IBK.

    Participeront également aux funérailles, outre le Chef de l’Etat et les Président des Institutions de la République, les membres du gouvernement, et de nombreuses personnalités du Mali et de l’étranger. À la suite de cérémonies officielles et religieuses, la dépouille sera remise à la famille de l’illustre disparu pour son inhumation.

    Source: Koulouba.com

  4. Sur le fORUM E-MED le professeur BRUNET JAILLY a publié le commentaire que nous nous permettons de publier, en le remerciant de ce chaleureux et attristé message:
    « Vous aurez appris le décès du Professeur Ogobara Doumbo, qui a fait toute sa carrière à Bamako, par conviction, parce qu’il pensait que la recherche de haut niveau était possible dans son pays, le Mali. Il n’a pas varié sur ce point, malgré tous les obstacles qu’il a rencontrés, et il s’est battu jour après jour pendant trois décennies pour arriver à le démontrer, et il y est parvenu de façon éclatante. Il a transmis son patriotisme aux chercheurs qui ont travaillé auprès de lui, en leur donnant une formation rigoureuse, structurée, disciplinée, volontairement très compétitive, avant de les envoyer compléter leurs connaissances auprès des meilleures équipes étrangères, puis de leur offrir à Bamako même un cadre de travail de niveau international : de quoi lutter, chez certains, contre la tentation de l’émigration et, pour ceux qui choisirent de rester au pays, contre celle de la résignation et de la déchéance. Ce modèle intransigeant sur la qualité des compétences et très exigeant quant au travail à fournir par chacun à toutes les étapes de sa formation et de sa carrière, devrait inspirer tous les ordres d’enseignement: c’est ce que la Nation malienne devrait offrir à sa jeunesse. Voilà ce que je retiens du Professeur Ogobara Doumbo, un collègue auquel me liaient une amitié et une admiration aussi profondes que tacites, un collègue qui restera pour moi le modèle que je m’efforcerai de suivre quelques années encore. »

    Bien amicalement.

    Joseph Brunet-Jailly

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