LE MONDE publie ce terrible reportage d’Annick Cojean qui nous confronte à l’horreur absolue, celle du viol de femmes, d’enfants et même de bébés…
http://www.lemonde.fr/journalelectronique/donnees/libre/20130717/index.html?cahier=QUO
On peut bien entendu retrouver l’article sur la version papier du journal datée du 17 Juillet.
REPORTAGE d’Annick Cojean
Dans l’est du Congo, l’horreur sans fin des violences sexuelles devenues armes de guerre
Bukavu (République démocratique du Congo) Envoyé spéciale
Le docteur Mukwege accueille dans sa clinique de Bukavu les victimes de viols. Il dénonce la passivité de la communauté internationale
On viole en République démocratique du Congo (RDC). Des femmes, des petites filles et depuis peu des bébés. On viole collectivement, en public, pour démolir et pour terroriser. Pendant des jours, parfois pendant des mois, avant de tirer une balle dans les vagins ou de les lacérer à coups de lames de rasoir, de les remplir de sel, de caoutchouc brûlé ou de soude caustique, d’y déverser du fuel et d’y mettre le feu. » L’enfer se trouve dans le Kivu « , résume une femme, le regard fixe, hanté par des images d’horreur qu’elle n’a encore osé décrire qu’à son » sauveur « , le docteur Denis Mukwege, directeur de l’hôpital de Panzi, à Bukavu.
Dans le huis-clos de son bureau situé dans ce chef-lieu de la province du Sud-Kivu, à l’est de la RDC, ce médecin gynécologue recueille, depuis quatorze ans, les pires histoires qu’on puisse imaginer. La première fois, en 1999, devant une jeune femme dont l’appareil génital avait été déchiqueté par des balles tirées dans son vagin, il a cru qu’il s’agissait de l’oeuvre d’un fou. Mais les femmes ainsi martyrisées ont afflué vers son hôpital, confrontant les soignants à des questions médicales jusque-là inédites. Plus de 40 000 femmes violées ont été opérées à Panzi depuis lors, sur les 500 000 victimes répertoriées en RDC depuis 1996. » Rien à voir avec des agissements individuels, ou un fait culturel congolais ! affirme le médecin. Les viols sont planifiés, organisés, mis en scène. Ils correspondent à une stratégie visant à traumatiser les familles et détruire les communautés, provoquer l’exode des populations vers les villes et permettre à d’autres de s’approprier les ressources naturelles du pays. C’est une arme de guerre. Formidablement efficace. «
Devenu l’un des plus grands spécialistes des traitements de tortures sexuelles alors que sa vocation était d’aider à mettre au monde des enfants, le Dr Mukwege, 58 ans, a, pendant des années, pratiqué dix à douze opérations par jour, formé du personnel médical, décentralisé des unités de soin afin que les femmes puissent trouver secours près de chez elles. Et puis, constatant la généralisation des viols, pratiqués par à peu près tous les groupes armés – rebelles hutu et combattants maï-maï, soldats rwandais, insurgés du M23 et forces congolaises – il a alerté les ONG, la Maison Blanche, le Conseil de l’Europe, les chancelleries. Il s’est exprimé à la tribune de l’ONU, a brandi des chiffres, des photos, des témoignages.
Rien de décisif n’a suivi, hormis quelques récompenses et dotations qui ont consolidé son hôpital. Hormis, aussi, cette tentative d’assassinat dont il a été l’objet à l’automne 2012, l’obligeant à fuir temporairement la RDC. Au désespoir des femmes du Sud-Kivu qui ont proposé de se relayer nuit et jour pour lui fournir la protection que le gouvernement congolais n’a jamais assurée.
l n’a pas tardé à revenir : » Impossible d’abandonner ces femmes à leurs souffrances. « Et il est là, massif, charismatique, le regard triste, le sourire et les gestes pleins de douceur, arpentant les couloirs de l’hôpital dans lequel il vit désormais. Il est là, plus préoccupé que jamais devant la recrudescence des viols, et soucieux que ses visiteurs du jour – ce 8 juillet, Valérie Trierweiler, compagne de François Hollande, ambassadrice de la Fondation France Libertés et Yamina Benguigui, ministre déléguée à la Francophonie, qui l’avaient l’une et l’autre reçu à Paris – soient à leur tour ses relais auprès de la communauté internationale. » Combien de femmes violées faudra-t-il pour qu’elle sorte de son inaction ? Combien d’enfants ? Jusqu’où l’horreur ? « Il y a moins de trois semaines, une petite fille de 18 mois lui a été apportée, l’appareil génital explosé. Neuf bébés sont arrivés dans le même état depuis janvier, 36 enfants de moins de 10 ans. » Je n’avais pas encore vu ça « , lâche-t-il.
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