molnupiravir et maladie covid-19 débutante sans signe de gravité : intérêt incertain, y compris chez des patients non vaccinés à risque d’aggravation


Début décembre 2021, les soins des patients atteints d’une forme légère à modérée de covid-19 reposent surtout sur des traitements symptomatiques et la surveillance de l’évolution. Cette surveillance est particulièrement importante dans certaines situations associées à un risque accru de formes graves de covid-19 : immunodépression ; âge supérieur à 65 ans, en particulier supérieur à 70 ans, notamment chez les hommes ; affection cardiovasculaire ou cérébrovasculaire ; complications d’un diabète ; obésité ; affection pulmonaire chronique ; cancer ; insuffisance rénale chronique ; hypertension artérielle (1).

L’association casirivimab + imdévimab, des anticorps dirigés contre la protéine Spike du virus Sars-CoV-2, est autorisée sous forme injectable (sous le nom Ronapreve°) dans l’Union européenne chez des patients atteints de covid-19 ayant des facteurs de risque de forme grave, mais n’ayant pas besoin d’apport d’oxygène (lire ici). Nous y reviendrons prochainement.

Le molnupiravir (Lagevrio°) est un antiviral annoncé en traitement oral chez des adultes atteints de covid-19 symptomatique depuis 5 jours au maximum, sans besoin d’oxygénothérapie, ayant au moins un facteur de risque de formes graves de covid-19 (2). Le 19 novembre 2021, L’Agence européenne du médicament (EMA) a émis un rapport et des conditions d’utilisation du molnupiravir dans cette situation, sur lesquels les États membres de l’Union européenne peuvent s’appuyer pour organiser un accès précoce à ce médicament, sans attendre une autorisation de mise sur le marché (AMM) (2).

Quelles sont les principales données de l’évaluation clinique du molnupiravir dans cette situation ? Voici les points de repère rassemblés par notre veille documentaire début décembre 2021.

Un analogue nucléosidique. Après la prise orale, le molnupiravir est rapidement hydrolysé en N-hydroxycytidine (3). Celle-ci a une structure chimique de ribonucléoside, comme les 4 ribonucléosides constituant l’acide ribonucléique (ARN) (3,4). Au cours du processus de réplication virale, quand l’ARN polymérase du Sars-CoV-2 incorpore des molécules de N-hydroxycytidine dans l’ARN viral en plus des 4 nucléosides physiologiques, l’ARN viral résultant est défectueux, avec apparition de multiples mutations et altération de la réplication du virus (3à5).

In vitro, l’effet antiviral du molnupiravir paraît d’ampleur similaire sur les variants Alpha, Bêta, Gamma et Delta du Sars-CoV-2, selon des études effectuées avant l’émergence du variant Omicron (3).

Un essai chez des patients atteints depuis 5 jours au maximum d’une forme légère ou modérée de covid-19, mais à risque d’aggravation. Début décembre 2021, l’évaluation clinique du molnupiravir repose principalement sur un essai comparatif randomisé, en double aveugle, versus placebo (essai dit Move-Out) (3,5à7). Il a été mené chez des adultes qui, malgré au moins un facteur de risque de formes graves de covid-19, n’avaient pas reçu de vaccin covid-19. Symptomatiques depuis 5 jours au plus, ils étaient atteints d’une maladie covid-19 documentée, considérée comme légère à modérée. Leur état de santé rendait improbable leur hospitalisation pour covid-19 dans les 48 heures (3,5,6,8). Les patients n’étaient pas inclus en cas d’insuffisance rénale (débit de filtration glomérulaire inférieur à 30 ml/min par 1,73 m2), d’infection par le HIV avec charge virale supérieur à 50 copies/ml, ou de nombre de polynucléaires neutrophiles inférieurs à 500 par ml (5,8).

Dans son rapport du 19 novembre 2021, l’EMA s’est appuyée principalement sur une analyse intermédiaire, prévue au protocole, chez les 775 premiers patients inclus, dont aucun ne recevait d’oxygène (2,5,9).

Début décembre 2021, on dispose aussi de quelques données mises en ligne en vue d’une réunion publique de l’Agence étatsunienne du médicament (FDA), dont quelques analyses portant sur l’ensemble des 1 433 patients inclus dans cet essai (3,6,7).

Dans cet essai, globalement moins d’hospitalisations. Ces 1 433 patients étaient âgés de 18 à 90 ans. La moitié avaient 43 ans ou moins (3). Seulement 3 % des patients étaient âgés de 75 ans ou plus (7). 51 % étaient des femmes (3). Les facteurs de risque de formes graves de covid-19 étaient principalement une obésité (74 % des patients), un âge de plus de 60 ans (17 %), un diabète (16 %), une maladie cardiaque (12 %) (3,7). Les patients ont été inclus dans divers pays, sur plusieurs continents, dont l’Amérique et l’Europe. Un résultat de séquençage du génome viral est disponible pour environ la moitié des patients ; dans 58 % des cas, il a mis en évidence le variant Delta du Sars-CoV-2 (7).

Selon le tirage au sort, les patients ont reçu matin et soir, pendant 5 jours, soit un placebo, soit le molnupiravir à raison de 800 mg (4 gélules de 200 mg) par prise (2,3).

Dans le mois suivant le début du traitement, 1 patient du groupe molnupiravir est mort (soit 0,1 %), versus 9 patients du groupe placebo (soit 1,3 %) (3,6). 6,8 % des patients du groupe molnupiravir ont été hospitalisés au moins 24 heures, versus 9,6 % dans le groupe placebo (3). La firme a présenté un résultat de test statistique pour le critère combiné « hospitalisation ou mort dans le mois suivant », critère principal d’évaluation selon le protocole. Ce critère a été rapporté chez 6,8 % des patients du groupe molnupiravir versus 9,7 % dans le groupe placebo, soit 2,9 % d’écart (p = 0,0218). Selon le protocole, la différence est à la limite de la significativité statistique (3,5,8).

Ces résultats portant sur 1 433 patients sont moins favorables au médicament que ceux de l’analyse intermédiaire portant sur les 775 premiers patients inclus. Dans cette analyse intermédiaire, le critère « hospitalisation ou mort dans le mois suivant » avait été rapporté chez 7,3 % des patients du groupe molnupiravir (dont aucun mort), versus 14,1 % dans le groupe placebo (dont 8 morts). La différence est statistiquement significative (p = 0,0012) selon le protocole l’essai (5). Chez les 658 patients inclus après les 775 premiers, le critère « hospitalisation ou mort dans le mois suivant » a été numériquement plus fréquent dans le groupe molnupiravir : chez 6,2 % des patients (dont un mort), versus seulement 4,6 % dans le groupe placebo (dont seulement un mort) (5,7). Ni la firme ni la FDA n’ont expliqué ce constat.

Ces divergences pourraient s’expliquer par d’éventuels écarts par rapport au protocole ou par d’éventuelles discordances de résultats entre les sites d’inclusion. Mais l’EMA a constaté en novembre 2021 qu’elle ne disposait pas des données concernant les écarts par rapport au protocole (5). On ne trouve pas non plus ces données dans les documents rendus publics par la FDA (3,6). Et on ne trouve d’analyse d’éventuelles discordances de résultats entre sites d’inclusion ni dans le rapport de l’EMA, ni dans ceux de la FDA ou de la firme (3,5,6).

Une analyse selon le délai entre début des symptômes et début du traitement. Quand le délai entre l’apparition des symptômes et le début du traitement a été inférieur ou égal à 3 jours (48 % de l’ensemble des patients inclus, sous-groupe formé avant le tirage au sort), le critère combiné « hospitalisation ou mort dans le mois suivant » est survenu chez 7,4 % des patients du groupe molnupiravir, versus 8,4 % des patients du groupe placebo. Alors qu’avec un délai de 4 ou 5 jours entre l’apparition des symptômes et le début du traitement, ce critère est survenu chez 6,2 % des patients du groupe molnupiravir versus 11 % des patients du groupe placebo (6,7).

Ces données ne montrent pas d’avantage à commencer le traitement au cours des 3 premiers jours suivant le début des symptômes, plutôt que le 4e ou le 5e jour.

Peut-être sans bénéfice chez les patients déjà porteurs d’anticorps. Chez environ 20 % des patients inclus dans l’essai, un examen sérologique a mis en évidence des anticorps anti-Sars-CoV-2 dans le sang prélevé au moment de l’inclusion. Le tirage au sort attribuant le molnupiravir ou le placebo aux patients a été effectué sans attendre le résultat de cet examen (7). L’EMA a considéré que la présence de ces anticorps chez des personnes non vaccinées reflétait plus probablement une infection antérieure, qu’une réponse immunitaire à l’infection en cours motivant l’inclusion dans l’essai (5). Dans ce sous-groupe de patients porteurs d’anticorps anti-Sars-CoV-2, formé après le tirage au sort ce qui fragilise les résultats, le critère combiné « hospitalisation ou mort dans le mois suivant » est survenu chez 3,7 % des patients qui ont reçu le molnupiravir, versus 1,4 % de ceux qui ont reçu placebo (7).

Autrement dit, l’évolution de la maladie a été nettement plus favorable chez l’ensemble des patients déjà porteurs d’anticorps que chez les autres, quel que soit le traitement reçu. Chez ces patients à moindre risque d’aggravation, le molnupiravir a semblé sans bénéfice.

Chez des patients hospitalisés pour covid-19 : plus de morts avec le molnupiravir. Un essai randomisé, en double aveugle, a été mené chez 293 adultes hospitalisés en raison d’une maladie covid-19, symptomatique depuis 10 jours au maximum (3,5,6). 76 % des patients ont commencé le traitement plus de 5 jours après le début des symptômes (5). Les patients ont reçu 2 fois par jour durant 5 jours soit un placebo, soit le molnupiravir, à raison de 200 mg, 400 mg ou 800 mg par prise (6). La mortalité au cours du mois suivant, principalement par covid-19, a été de 6,9 % avec le molnupiravir, versus 2,7 % avec le placebo (3,6). Il n’y a pas eu de différence entre les groupes molnupiravir ou placebo sur le délai de guérison (médiane de 9 jours, critère principal d’évaluation) (5). La firme a mis un terme à l’essai (6).

Effets indésirables : au moins des anémies. Les effets indésirables connus des analogues nucléosidiques sont plus ou moins fréquents et préoccupants selon la substance. Par exemple, l’aciclovir (Zovirax° ou autre) expose surtout à des troubles neuropsychiques (céphalées, sensations vertigineuses, confusions, hallucinations, convulsions, etc.) et à des cristalluries, sources d’insuffisances rénales aiguës ; alors que la zidovudine (Retrovir° ou autre) expose, entre autres, à des troubles hématologiques, le ténofovir (Viread° ou autre) à des troubles osseux et rénaux, et l’abacavir (Ziagen° ou autre) à des réactions graves d’hypersensibilité (10,11).

Dans l’essai chez 1 433 patients non hospitalisés, au moins un événement indésirable a été rapporté chez environ 1 patient sur 3, dans le groupe molnupiravir comme dans le groupe placebo (3). Ces données sont brouillées puisque de nombreux événements indésirables rapportés étaient en fait des manifestations de la maladie covid-19 (3,6,5).

Cependant, des anémies considérées comme modérées (avec par exemple une hémoglobinémie comprise entre 8,5 et 10,4 g/100 ml chez les femmes) ont été recensées chez 4 % des patients du groupe molnupiravir, versus 2 % dans le groupe placebo (3). Dans l’essai chez environ 300 patients hospitalisés, une anémie, en général modérée, a été rapportée chez 22 % des patients du groupe molnupiravir 800 mg, versus 8 % des patients du groupe placebo (6).

En prenant aussi en compte une étude chez des volontaires sains et des études de doses, l’EMA a considéré que le molnupiravir expose à des éruptions cutanées, des céphalées, des sensations vertigineuses, des nausées, des vomissements, des diarrhées (2,5).

Une étude chez 64 volontaires sains n’a pas montré de signal d’effet sur l’électrocardiogramme (3).

Des spécialistes de la FDA ont considéré que selon des études in vitro, le molnupiravir paraît mutagène chez certaines bactéries, mais pas chez des rongeurs, de sorte que le risque chez les humains, avec un traitement de quelques jours, paraît faible (6).

Risque d’apparition de variants préoccupants ? Le molnupiravir provoque un grand nombre de mutations diverses du génome du Sars-CoV-2, de façon dose-dépendante (5). Des études de ces mutations ont été effectuées chez une centaine de patients de l’essai chez 1 433 patients (6). Le nombre médian de mutations du génome viral apparues durant les 5 jours de traitement a été plus grand chez les patients exposés au molnupiravir que chez les patients du groupe placebo, de façon statistiquement significative (p = 0,005) (6).

Ces mutations affectent notamment le gène codant la protéine S du Sars-CoV-2. Selon des analyses effectuées chez environ 250 patients, de telles mutations sont apparues durant le traitement chez environ 35 % des patients exposés au molnupiravir, versus environ 20 % des patients qui ont reçu le placebo (6). Des mutations apparues en cours de traitement et voisines de celles observées chez des variants préoccupants du virus ont été décelées chez quelques patients exposés au molnupiravir (6).

Ces modifications n’ont pas paru corrélées à l’évolution de la maladie des patients concernés (6).

On ne sait pas dans quelle mesure une utilisation à grande échelle du molnupiravir peut influencer l’évolution du Sars-CoV-2, en matière de virulence ou de sensibilité aux traitements (6).

Faible potentiel d’interactions médicamenteuses. La N-hydroxycytidine est métabolisée comme d’autres ribonucléosides (5). Son élimination rénale paraît marginale, de même que sa métabolisation hépatique (3). Les études in vitro n’ont pas montré de sensibilité aux inducteurs ni aux inhibiteurs enzymatiques, ni d’effet inhibiteur ou inducteur sur diverses isoenzymes du cytochrome P450, notamment l’isoenzyme 3A4 (3). L’absorption digestive du molnupiravir n’est pas dépendante du pH, et donc peu sensible à ses variations, comme après la prise d’un antiacide (3).

In vitro, l’effet antiviral paraît inchangé en présence d’antiviraux tels que lamivudine (Epivir° ou autre), remdésivir (Veklury°) ou ribavirine (Rebetol° ou autre) (3).

En somme, le molnupiravir semble exposer à peu d’interactions médicamenteuses.

Tératogène chez l’Animal à des doses supérieures à celles évaluées chez l’Homme. La grossesse et l’allaitement était des motifs de non-inclusion dans l’essai clinique principal (8,6).

Des études animales ont montré une embryotoxicité, un effet tératogène et une toxicité maternelle à des doses supérieures à celles évaluées dans les essais cliniques (6). Des troubles osseux, des malformations, des retards de croissance et des pertes d’embryons ont notamment été observés (2,6).

En pratique. Début décembre 2021, dans un essai chez 1 433 patients adultes atteints de covid-19, symptomatiques depuis 5 jours au maximum, avec au moins un facteur de risque d’aggravation et non vaccinés, le molnupiravir par voie orale a semblé réduire partiellement le risque d’hospitalisation pour aggravation de la maladie. Ce résultat global est très fragile, avec une grande incertitude autour de l’ampleur de cet effet éventuel, étant donné la différence importante et troublante entre les résultats rapportés pour les 775 premiers patients inclus et ceux rapportés pour les 658 patients suivants.

On manque de comparaison directe avec les anticorps monoclonaux injectables casirivimab + imdévimab (Ronapreve°), sur lesquels nous reviendrons prochainement.

D’autre part, le molnupiravir ne semble pas avoir d’intérêt chez des patients déjà porteurs d’anticorps, en raison d’un antécédent d’infection. Les effets indésirables sont encore très peu connus, mais des anémies, le plus souvent modérées, ont déjà été décelées, ainsi que des éruptions cutanées et des troubles digestifs. On ne sait pas dans quelle mesure les mutations virales provoquées par le molnupiravir peuvent avoir des conséquences cliniques ou épidémiologiques.

En pratique, début décembre 2021, l’intérêt du molnupiravir en traitement précoce d’une maladie covid-19 non grave est incertain, y compris chez les patients exposés à un risque élevé d’évolution vers une forme grave et non vaccinés. Le molnupiravir ne semble pas avoir d’intérêt chez des patients déjà porteurs d’anticorps en raison d’un antécédent d’infection.

©Prescrire

Sources :

1- Prescrire Rédaction « Covid-19, formes légères à modérées » Premier Choix Prescrire, actualisation septembre 2021 : 10 pages.

2- EMA « Conditions of use, conditions for distribution and patients targeted and conditions for safety monitoring adressed to member states for unathorised product Lagevrio (molnupiravir) available for use » 19 novembre 2021 : 7 pages .

3- Merck « Antimicrobial drugs advisory committee meeting briefing document. molnupiravir oral Treatment of Covid-19. Application number : EUA #000108 » 30 November 2021 : 68 pages (+ addendum : 7 pages) .

4- Kabinder F et coll. « Mechanism of molnupiravir-induced Sars-CoV-2 mutagenesis » Nat Struct Mol Biol 2021 ; 28 : 740-746.

5- EMA « Public assessment report. Procedure under Article 5(3) of Regulation (EC) No 726/2004. Use of molnupiravir for the treatment of Covid-19. EMEA/H/A-(3)/1512 » 19 novembre 2021 : 90 pages.

6- FDA CDER « FDA briefing document. Antimicrobial drugs advisory committee meeting » 30 novembre 2021 : 44 pages (+ « errata » : 1 page : + « addendum » : 3 pages) .

7- Merck « molnupiravir. U.S. Food & Drug Administration Antimicrobial drugs advisory committee Slides » 30 novembre 2021 : 80 pages.

8- « Efficacy and safety of molnupiravir (MK-4482) in non-hospitalized adult participants with Covid-19 (MK-4482-002). NCT04575597 » Site internet clinicaltrials.gov consulté le 28 novembre 2021 : 9 pages.

9- Merck « Merck and Ridgeback’s investigational oral antiviral molnupiravir reduced the risk of hospitalization or death by approximately 50 percent compared to placebo for patients with mild or moderate Covid-19 in positive interim analysis of phase 3 study » 1er octobre 2021 : 6 pages.

10- Prescrire Rédaction « Aciclovir, valaciclovir et famciclovir » Interactions Médicamenteuses Prescrire 2021.

11- Prescrire Rédaction « Inhibiteurs nucléosidiques ou nucléotidiques de la transcriptase inverse » Interactions Médicamenteuses Prescrire 2021.

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