Consultation inhabituelle

Suite du témoignage de Mireille , médecin généraliste, lors de la mission d’octobre 2009.

<<<Aussi, lorsque j’ai reçu en consultation cette femme de 29 ans se plaignant de douleurs abdominales modérées, de sensation d’une masse sous diaphragmatique gênante, je pensai à un problème digestif. Avant de l’examiner je posai les questions habituelles, car nous profitons de notre passage pour pratiquer un bilan de santé global chez ces villageois qui ne voient jamais de médecin. Cœur, poumons, appareil neuro musculaire, digestion, urines, et bien sûr chez la femme, troubles des règles…Ah ! Tiens ! un retard ?! de combien ? date des dernières règles ?…un peu plus d’un mois…normales ? non, peu abondantes…les dernières règles normales datent en fait d’il y a « quelques mois »… (très très rares sont les femmes qui connaissent la date de leurs dernières règles et cette question, comme la question de leur âge, les fait rire !)…mais non je ne peux pas être enceinte…pas de mari ni de copain…non pas de rapport…mais si, je vous dis, ce n’est pas possible ! en riant je lui demande si elle est vierge pour être si sûre d’elle, OUI ! L’interrogatoire est difficile, la femme parlant très mal le français chaque question et chaque réponse doit être traduite par Emma, notre boursière qui vient de finir sa formation de matrone et de soignant et qui me sert d’interprète tout en faisant un stage d’application en suivant la mission avec nous. Barrière de la langue… ?! L’examen montre bien une masse abdominale mais haute, mobile, non douloureuse, vraiment rien d’évident…

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 Emma, continue à converser en langue diola (elle me dira par la suite que les choses ne lui paraissaient pas claires du tout car elle connaît cette femme …) pendant que je m’éloigne pour appeler ma consoeur  Dominique, comme on le fait lors des cas difficiles ou intéressants. Je lui fais un résumé succinct en terminant par la « prétendue » virginité de ma patiente. AH ! dit Dominique, alors elle n’a pas d’enfants ? …réponse en chœur d’Emma et de la patiente …mais oui ! Elle a une fille…

J’arrête là toute discussion! S’il s’agit d’une grossesse d’au moins 4 mois, nous allons vite le savoir : nous avons à notre disposition un petit appareil à ultrasons pour écouter les bruits du cœur du bébé…il n’a pas fallu chercher bien longtemps pour les entendre !

Placée devant l’évidence,  la jeune femme pleure et dit qu’elle ne veut pas le garder. Devant son désarroi, nous essayons avec Emma de la réconforter, lui dire qu’elle n’est pas seule, il y a sa famille, de lui expliquer que la grossesse est trop avancée pour envisager une interruption de grossesse, mais elle dit être prête à tout pour ne pas affronter à nouveau une grossesse non désirée. Ne peut elle compter sur le père ? NON catégorique. La venue de son premier enfant a été très difficilement acceptée par sa famille et a été pour elle une source de problèmes qu’elle ne se sent pas le courage d’affronter à nouveau. Son comportement et son discours nous inquiètent quelque peu. Emma passe un long moment à discuter avec elle en diola, puisque le dialogue est bien  difficile avec moi. Emma lui propose de la revoir le lendemain, au village, entre amies. Je lui dis aussi qu’elle peut venir me voir quand elle veut.

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Après son départ, j’interroge Emma sur les solutions possibles pour l’aider, mais  en brousse pas d’association pour fille mère ou pour femme seule avec enfant, pas de CAF, d’allocations. Emma n’a pas non plus entendu parler de ce genre d’association à Ziguinchor. Dépendance totale du cercle familial dans un milieu où la vie des femmes est déjà si difficile…

Nous sommes restés dans ce village deux jours encore pour y travailler, la jeune femme n’est pas revenue me voir, elle s’est rendue chez Emma pour parler mais le dialogue a été difficile, elle pleurait beaucoup….

Depuis mon retour en France, j’ai appelé Emma pour savoir si elle avait des nouvelles. La jeune femme n’est plus au village et aux dires de sa famille serait à Dakar. Emma a essayé d’obtenir auprès de sa maman un numéro de téléphone où la joindre…le papier où il était noté a été égaré…

 

Lors d’un déni de grossesse, on observe des signes étonnants pouvant faire errer le diagnostic, notamment les modifications de taille et de position de l’utérus, mouvements fœtaux absents ou modérés, présence de règles, certitude de la patiente elle-même qui ne sait pas qu’elle est enceinte. La grossesse passe généralement inaperçue de l’entourage. Le déni de grossesse peut concerner toutes le femmes, jeunes, moins jeunes, issues de milieu social aisé ou défavorisé, ou même ayant déjà vécu des grossesses « normales ».

 

Ayant l’habitude au cours de mon exercice lors de ces missions d’être plutôt confrontée aux grossesses nombreuses, rapprochées, désirées, attendues, je n’avais jamais imaginé me trouver un jour devant un cas de déni de grossesse. Cette expérience me laisse le goût amer du regret de ne pas avoir pu mieux aider cette jeune femme, de ne pas avoir pu lui donner les coordonnées d’association, d’assistante sociale, de structure susceptibles de l’aider, de la soutenir affectivement et psychologiquement ou de la prendre en charge.

Vous trouverez à la dte du 2 octobre sur ce blog la présentation de notre association ANIMA et nos coordonnées.

 

 

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