Dans son numéro de juin 2020 qui vient de paraître la revue PRESCRIRE qui ne reçoit aucune publicité et ne vit que par les abonnements de ses abonnés fait le point sur la controverse de l’hydroxychloroquine qui agite le monde médical et médiatique:
Covid-19 et hydroxychloroquine (suite) : début juin 2020, toujours pas de preuve d’efficacité et encore des signaux d’effets indésirables graves
Dans l’actualité Début juin 2020, l’efficacité de l’hydroxychloroquine chez des patients atteints de covid-19 a été évaluée dans trois essais cliniques comparatifs randomisés, sans résultats probants. De nouvelles données concernant des effets indésirables cardiaques graves sont disponibles, cohérentes avec des données antérieures.
Mi-avril 2020, l’efficacité de l’hydroxychloroquine (Plaquénil°) n’était pas démontrée chez des patients infectés par le coronavirus Sars‑CoV‑2, qui est à l’origine de la maladie covid-19. On savait déjà que l’hydroxychloroquine expose à des effets indésirables cardiaques graves, surtout en association avec l’azithromycine (Zithromax° ou autre), un antibiotique macrolide.
La maladie covid-19 évolue très souvent vers la guérison. Certains facteurs de risque d’évolution défavorable ont été identifiés, surtout l’âge. La diversité des évolutions naturelles et des patients atteints rendent difficilement interprétable une évaluation des traitements autrement que par des essais comparatifs dits randomisés, c’est-à-dire avec attribution du traitement par tirage au sort. Ces essais visent à obtenir des groupes aussi semblables que possible, avec pour seule différence les traitements évalués. Ainsi, il est fortement probable, après prise en compte du hasard par une analyse statistique, que les éventuelles différences d’évolution de la maladie observées entre les groupes soient attribuables aux traitements eux-mêmes.
Au 2 juin 2020, notre veille documentaire a recensé les résultats de trois essais comparatifs randomisés chez des patients atteints de covid-19, avec un groupe de patients recevant de l’hydroxychloroquine versus un groupe de patients témoin recevant un traitement sans hydroxychloroquine. Les résultats de ces trois essais, sur un total d’environ 240 patients, n’ont pas démontré d’efficacité de l’hydroxychloroquine sur des critères cliniques tels que la mortalité, la fréquence des mises sous respiration artificielle, ou la durée des hospitalisations. Ces résultats étaient déjà connus mi-avril 2020 .
Quelques publications ont décrit de façon succincte une efficacité parfois spectaculaire de l’hydroxychloroquine, mais sans qu’il y ait eu de tirage au sort pour former les groupes comparés. Cela expose à ce que les différences d’évolution observées soient en réalité liées à des différences entre groupes autres que les traitements reçus.
En somme, début juin 2020, on ne sait toujours pas si l’hydroxychloroquine a une efficacité dans le covid-19.
L’hydroxychloroquine est une substance utilisée depuis des dizaines d’années, notamment comme immunodépresseur. Cela a permis de cerner peu à peu ses nombreux effets indésirables. En traitement court, elle expose notamment à de rares troubles du rythme cardiaque, potentiellement mortels.
Les essais cliniques comparatifs ne sont généralement pas conçus pour évaluer des effets indésirables d’un médicament. Cette évaluation repose le plus souvent sur un ensemble de données de natures diverses, de faible niveau de preuves, mais souvent suffisantes pour être prises en compte, afin de ne pas nuire aux patients (« Évaluer les risques d’un traitement : prendre en compte les données cliniques, la pharmacologie, et les particularités du patient », n° 312, pages 778-780). Les cas rapportés aux systèmes de pharmacovigilance sont des éléments de cet ensemble. Au cours du mois de mai 2020, des troubles cardiaques liés à l’hydroxychloroquine chez des patients atteints de covid-19 ont continué à être rapportés, notamment en France.
Des études rétrospectives, dont des résultats ont été publiés en mai 2020, ont cherché notamment à évaluer le lien entre des troubles cardiaques et la prise d’hydroxychloroquine. L’une d’entre elle, publiée dans The Lancet, a inclus 96 032 patients hospitalisés en raison d’un covid-19, la plupart en Amérique du Nord. 9 237 patients ont reçu de l’hydroxychloroquine durant leur hospitalisation, dont 6 221 en association avec un macrolide. Après prise en compte de divers facteurs dits de confusion (dont âge, sexe, indice de masse corporelle, divers antécédents médicaux et gravité du covid-19), un lien statistique a été mis en évidence entre la prise d’hydroxychloroquine (en association ou non avec un macrolide) et un risque accru d’arythmie ventriculaire et de mort durant l’hospitalisation. Les résultats de cette étude sont controversés, notamment suite à la mise en évidence d’erreurs après la publication. Ces dernières ont fait l’objet d’un rectificatif, mais sans conduire à changer des résultats. L’analyse d’autres études rétrospectives, de plus faible puissance statistique, puisqu’elles ont porté sur beaucoup moins de patients (environ 1 500 au maximum), n’ont pas retrouvé ce type de lien statistiquement significatif.
Par ailleurs, un essai comparatif avec tirage au sort a comparé deux doses de chloroquine (1 200 mg par jour pendant 10 jours, ce qui est une posologie élevée, versus 900 mg le premier jour, puis 450 mg pendant 4 jours) chez des patients atteints d’une forme grave de covid-19. Cet essai a été arrêté après l’inclusion de 81 patients. Un intervalle QT de l’électrocardiogramme allongé à plus de 500 millisecondes a été observé chez 19 % des patients du groupe 1 200 mg, versus 11 % des patients de l’autre groupe. Un allongement de l’intervalle QT expose à des troubles du rythme cardiaques graves : deux patients ont eu une tachycardie ventriculaire dans le groupe 1 200 mg, versus aucun patient dans l’autre groupe. La mortalité a été de 39 % dans le groupe 1 200 mg versus 15 % dans l’autre groupe. L’ampleur de cette différence est peut-être liée à la différence de moyenne d’âge entre les deux groupes (55 ans dans le groupe 1 200 mg, versus 47 ans dans l’autre).
En somme, malgré des fragilités, ces données sont convergentes et cohérentes avec d’autres données antérieures , et en accord avec les effets indésirables déjà connus de l’hydroxychloroquine. Elles sont d’autant plus à prendre en compte que l’efficacité de l’hydroxychloroquine n’est pas démontrée.
©Prescrire 3 juin 2020
Sources :
- « Early diagnosis and management of covid-19 patients : a real-life cohort study of 3 737 patients, Marseille, France » 27 mai 2020. Site www.mediterranee-infection.com consulté le 28 mai 2020.
- Mehra MR et coll. « Hydroxychloroquine or chloroquine with or without a macrolide for treatment of COVID-19: a multinational registry analysis » Lancet 22 mai 2020 + « Supplementary material » + « Department of error » 30 mai 2020.
- Rosenberg ES et coll. « Association of treatment with hydroxychloroquine or azithromycin with in-hospital mortality in patients with COVID-19 in New York state » JAMA 11 mai 2020.
- Mahévas M et coll. « Clinical efficacy of hydroxychloroquine in patients with covid-19 pneumonia who require oxygen: observational comparative study using routine care data » BMJ 14 mai 2020.
- CRPV Nice Alpes Côte d’Azur « Conséquences cardiaques associées aux médicaments prescrits dans le cadre du Covid-19 et susceptibles de prolonger l’intervalle QTc (hydroxychloroquine, azithromycine, lopinavir/ritonavir) : prolongation de la durée de l’intervalle QTc, et troubles du rythme et de la conduction cardiaques » 27 mai 2020.
- Borba MGS et coll. « Effect of high vs low doses of chloroquine diphosphate as adjunctive therapy for patients hospitalized with severe acute respiratory syndrome coronavirus 2 (SARS-CoV-2) Infection. A randomized clinical trial » JAMA Netw Open 24 avril 2020.
L’étude britannique « RECOVERY » semble disqualifier complètement l’hydroxychloroquine. Nous attendons la publication de cette étude que l’on semble pouvoir qualifier enfin de robuste et les analyses qui en seront faites rapidement…