Le réseau ReMed communique cette importante information:
Bilharziose urinaire et VIH : Association de malfaiteurs
Par Philippe Bonnard, Hôpital Tenon (France) < 20/06/11
http://www.vih.org/20110620/bilharziose-urinaire-et-vih-association-malfaiteurs-24650
La publication récente dans American Journal of Tropical Medicine and
Hygiene1 d’un papier rapportant une fois encore l’association fréquente de
la bilharziose urinaire à la présence d’une infection par le VIH est
l’occasion de lancer un coup de projecteur sur ce sujet. Et l’occasion de
revenir sur un possible co-facteur de la transmission du VIH en Afrique,
chez l’homme comme chez la femme.
La bilharziose à Schistosoma haematobium est une parasitose fréquente en Afrique sub-saharienne puisque l’OMS estime que 45 millions de femmes vivant dans cette région sont porteuses de ce parasite. Lors de l’infection, le parasite rejoint son lieu de ponte, localisé le long du tractus urinaire et génital. A l’occasion de cette ponte, il provoque un amincissement de l’épithelium et une inflammation locale de la vessie, des uretères, mais aussi du vagin et du col de l’utérus. Le col de l’utérus et le vagin étant fréquemment atteints, leurs muqueuses sont alors sont le siège de remaniements profonds, avec apparition d’une muqueuse granuleuse saignant facilement au contact.
Les auteurs rapportent une cohorte de 457 femmes en âge de procréer (18-50 ans), dans laquelle ils étudient les liens entre la présence d’un œuf de S. haematobium dans les urines et l’infection par le VIH. Au sein de cette cohorte, ils décrivent une prévalence très forte de troubles qu’ils
rapportent à la présence de la bilharziose (75% des femmes recrutées dans
l’étude signalent des douleurs pelviennes, 55% des démangeaisons locales, et 43% des dyspareunies). La présence d’une infection par le VIH était associée à la présence de lésions urogénitales liées à la bilharziose urinaire avec un odds ratio de 4.0 (IC 95% = 1.2 – 13.5, p=0.028). Ainsi, 4 des 23 femmes chez qui on retrouve la présence d’un œuf sont infectés par le VIH (17%), contre seulement 23 sur les 434 (5%) chez qui il n’est pas retrouvé d’œufs.
La région dans laquelle s’est déroulée l’étude (les abords du Lac Victoria)
présente probablement les prévalences les plus élevées du monde (50-90% chez les jeunes enfants).
Cette association n’est pas nouvelle et certaines études avaient déjà
signalées ce lien. Au Zimbabwe, zone dans laquelle la prévalence du VIH est plus élevée qu’en Tanzanie et où il existe également une forte prévalence de bilharziose urinaire, un lien avait été mis en évidence en 2006 dans une cohorte de 527 femmes au sein de laquelle l’analyse multivariée montrait que la présence de S. haematobium était liée à la présence d’une infection par le VIH (41% d’infection VIH chez les femmes porteuses du parasite alors que « seulement » 26% des femmes chez qui le parasite n’était pas retrouvé étaient infectées par le VIH (OR ajusté = 2.9, IC 95% = 1.11-7.5, p=0.03).
Un risque de contamination par le VIH accru
Il existe plusieurs arguments pour dire que la présence de S. haematobium
dans le tractus génital augmente le risque de contamination par le VIH :
– Dans l’historique du patient, la bilharziose est contractée avant
l’infection par le VIH. En effet, c’est dès l’acquisition de la marche que
les enfants sont au contact de l’eau et attrappent le parasite, l’infection
par le VIH venant plus tard, avec les premiers rapports sexuels. Le VIH
arrive donc sur un organisme porteur de la bilharziose depuis parfois
plusieurs années. De plus, si le traitement dé référence de la bilharziose
(praziquantel) est actif sur le parasite, il n’est qu’inconstamment actif
sur les lésions déjà installées. La réversibilité parfois incomplète et
longue des lésions génito-urinaires (malgré la disparition des œufs dans les urines) suggère que prévenir l’infection est sûrement mieux que de la
traiter.
– La présence d’œufs dans la muqueuse vaginale est à l’origine d’une rupture de l’epithélium local , permettant probablement une pénétration plus facile du virus. L’inflammation provoquée par les œufs est aussi à l’origine d’un afflux de lymphocytes et de macrophages activés, cibles idéales pour le VIH
– Enfin, l’infestation chronique par la bilharziose est à l’origine d’un
déséquilibre de la balance immunitaire au profit du versant Th2, avec une
diminution de la réponse Th1. La diminution de la capacité de l’organisme à créer une réponse Th1 (nécessaire pour avoir une réponse anti virale CTL CD8 efficace) augmente, suggère que les patients porteurs de la bilharziose sont moins capables de produire une réponse anti VIH efficace6. Cette susceptibilité est soutenue par des données in vitro montrant qu’incubées en présence du VIH, les PBMC issues de patients porteurs de la bilharziose ont des taux d’infection supérieurs à celles des patients indemnes de la bilharziose7. Un des mécanismes avancés est le niveau d’expression des co-récepteurs CCR5 et CXCR4 sur les LT CD4+ qui est plus élevé chez les patients guéris de leur bilharziose, facilitant ainsi l’accès du virus (d’ailleurs, les patients récupèrent un taux d’expression des co récepteurs ad integrum après avoir été traités de leur infection parasitaire.
Maîtrise du parasite et charge virale
Jusqu’à présent, les données publiées sur l’influence des conséquences de la maitrise du parasite sur la progression de l’infection virale sont
discordantes, mais elles sont émaillées de biais (la revue de la littérature
publiée dans PloS Neglected Tropical Disease en 2007 n’en retenait que 5 sur les 6384 retrouvées…) et il est difficile de conclure. Cependant,
l’impression générale est que traiter l’infection à S. haematobium (ou S.
mansoni) et les helminthes en général provoque une diminution de la charge virale VIH.
Un modèle mathématique récemment publié vient épauler cette impression générale. En construisant un modèle dans lequel la schistosomiase et l’infection par le VIH évoluent librement ou sous la contrainte de mesures thérapeutiques, les auteurs montrent non seulement que l’introduction de la schistosomiase dans le modèle augmente la prévalence de l’infection VIH, mais que la prise en charge globale de l’affection parasitaire a un impact positif sur l’évolution de l’épidémie VIH10.
Une solution « à 32 cents de $ »
Il est donc facile de reprendre un éditorial publié en 2009 dans ce même
PloS Neglected Tropical Disease, et dans lequel les auteurs brandissaient
une solution à 32 cents (de dollar) comme moyen de lutte contre l’infection VIH. L’OMS recommande actuellement des traitements de masse pour les enfants scolarisés (tous les ans quand la prévalence de l’infection dépasse 10%12). Ces traitements de masse réduisent la prévalence de l’infection parasitaire surtout quand ils sont donnés chez les toutes jeunes femmes(-84% au Burkina Faso après deux cures espacées de deux ans. Les calculs montrent alors que 120 000 nouvelles contaminations par le VIH seraient évitées au cours des 10 prochaines années si les femmes en âge de procréer recevaient un traitement anti bilharzien tous les deux ans. Le coût de la mise en place d’un traitement de masse (logistique, personnel et traitement) étant évaluée à 0.32 $ par individu bénéficiant de ce traitement, la somme qu’il faudrait débloquer serait de 112 millions de $. Ce qui représente 0.6% des 18.8 millards de $ déjà prévus par le PEPFAR (the US President’s Emergency Plan for AIDS Relief) pour prendre en charge le VIH dans les ciblés initialement par ce programme. Il n’est jamais trop tard pour bien faire.
Nos actions en Casamance nous révélent nombre de cas de bilharzioses sans que nous ayons fait pour notre part jusque maintenant de liens entre cette schistosomiase et l’infection VIH…Nous allons bien sûr être particulièrement attentifs désormais…
Présentation de notre association ANIMA à la date du 28 février sur ce blog.