Injections intramusculaires conjointes de tixagévimab et cilgavimab (Evusheld°) en prévention pendant 6 mois de la maladie covid-19: effet préventif non étayé


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Certains adultes sont à risque particulièrement élevé de forme grave de maladie covid-19, en particulier les personnes très âgées ou immunodéprimées, parfois y compris quand elles sont vaccinées. Début décembre 2021, la Haute autorité de santé (HAS) française a octroyé de manière dérogatoire une autorisation d’accès précoce à l’association tixagévimab + cilgavimab (Evusheld°) en prophylaxie dite pré-exposition chez des adultes, c’est-à-dire pour prévenir la maladie covid-19 chez des personnes particulièrement à risque de forme grave, sans englober la situation de contact avec une personne infectée par le Sars-CoV-2. Cela concerne les très rares situations où la vaccination est à écarter, ou quand celle-ci est estimée peu ou pas efficace sur des critères sérologiques. C’est le cas notamment des patients immunodéprimés en raison d’une greffe, d’une hémopathie lymphoïde ou de la prise de certains médicaments (1,2).

Le tixagévimab et le cilgavimab sont deux anticorps monoclonaux dirigés contre la protéine S du virus Sars-CoV‑2. Dans le cadre de cette autorisation d’accès précoce, chacun des anticorps est administré à la dose de 150 mg, en deux injections intramusculaires sur des zones différentes. Selon des données pharmacocinétiques, le résumé des caractéristiques (RCP) indique une durée de protection estimée à « au moins 6 mois » après l’administration (3,4). Cette association est à prescription hospitalière, administrée soit à l’hôpital, soit en dehors de l’hôpital après son obtention auprès d’une pharmacie hospitalière (c’est-à-dire par rétrocession). Une surveillance clinique est préconisée pendant les 30 minutes qui suivent l’administration (3,5). Pour sa part, l’Agence étatsunienne du médicament (FDA) estime utile de surveiller les patients pendant « au moins une heure » (6).

Fin février 2022, dans un contexte de circulation prédominante du variant Omicron du Sars-CoV-2, quelle est l’efficacité préventive de l’association tixagévimab + cilgavimab ? Quels sont ses effets indésirables ?

Activité antivirale différente selon les variants, qui semble préservée contre le variant Omicron. Selon Santé publique France, mi-février 2022, le variant Omicron représentait la quasi-totalité des virus Sars-CoV-2 circulant, un variant très contagieux mais causant moins souvent une forme grave de covid-19 que les précédents variants qui prédominaient (7,8).

Une étude in vitro a montré une résistance du variant Omicron à divers anticorps monoclonaux. Cela a notamment été le cas vis-à-vis de l’association casirivimab + imdévimab (Ronapreve°), qui est autorisée dans le traitement curatif ou préventif de la maladie covid-19 (9). L’activité antivirale de l’association tixagévimab + cilgavimab sur le variant Omicron a semblé préservée, mais moindre que celle sur le variant Delta (10). Sur la base de ces données, les autorités françaises ont préconisé d’utiliser l’association tixagévimab + cilgavimab plutôt que l’association casirivimab + imdévimab en prévention des infections par le variant Omicron quand le risque de forme grave de covid-19 est particulièrement élevé (5).

Un essai randomisé, en double aveugle, versus placebo, chez des patients avec facteur de risque de forme grave, mais peu de patients immunodéprimés. L’évaluation clinique de l’efficacité préventive de l’association tixagévimab 150 mg + cilgavimab 150 mg par voie intramusculaire chez les personnes à risque de forme grave de covid-19 repose principalement sur un essai randomisé, en double aveugle, versus placebo. Cet essai, dit Provent, a été mené aux États-Unis d’Amérique et en Europe, avant que le variant Delta devienne prédominant et avant l’émergence du variant Omicron (4). Ses résultats ont été rendus disponibles sans relecture préalable par des pairs.

Selon le protocole de cet essai, les patients inclus étaient des adultes non vaccinés, sans affection aiguë fébrile et avec une sérologie négative vis-à-vis du Sars-CoV-2 (11). Le tirage au sort a été effectué en affectant deux fois plus de patients au groupe tixagévimab + cilgavimab que dans le groupe placebo. Le critère principal d’évaluation a été la fréquence de survenue des maladies covid-19 symptomatiques, confirmées par un test RT-PCR sur prélèvement nasopharyngé, dans les 6 mois suivant l’injection (4,6).

Au total, 5 197 patients ont été inclus dans cet essai. La plupart d’entre eux avaient au moins un facteur connu de forme grave de covid-19, notamment : une obésité (environ 42 % des patients), un âge de 65 ans ou plus (24 %), une hypertension artérielle (36 %), un diabète (14 %), une affection cardiovasculaire chronique (8 %), une insuffisance rénale chronique (5 %), une immunodépression (4 %) (4). Les patients ayant reçu au moins une dose de vaccin covid-19 étaient moins nombreux dans le groupe tixagévimab + cilgavimab : 12 % versus 30 % des patients du groupe placebo (6).

Résultats fragiles : diminution de la fréquence des maladies covid-19, sans efficacité démontrée en prévention des formes graves. Après une durée de suivi d’environ 3 mois après l’injection, selon une analyse préliminaire non prévue dans le protocole disponible de l’essai, 8 personnes (0,2 %) ont eu une maladie covid-19 symptomatique dans le groupe tixagévimab + cilgavimab, versus 17 personnes dans le groupe placebo (1,0 %). Cette différence est statistiquement significative mais elle repose sur un très faible nombre de cas, ce qui fragilise l’estimation de l’ampleur de l’efficacité clinique (4,6,11). Des résultats de cet essai avec une durée de suivi d’environ 6 mois ont été rendus publics et vont dans le même sens : 11 patients (0,3 %) du groupe tixagévimab + cilgavimab ont eu une maladie covid-19 symptomatique, versus 31 patients (1,8 %) du groupe placebo (6).

Selon les données disponibles début 2022, une seule forme grave de covid-19 a été recensée au cours de l’essai. Les recours à un service d’urgences ont semblé plus fréquents chez les patients du groupe tixagévimab + cilgavimab : 1,7 % versus 1,1 % chez ceux du groupe placebo (4,6).

Autrement dit, les résultats de cet essai chez des adultes à risque de forme grave de covid-19 montrent, avec fragilité, une efficacité de cette association pour prévenir les maladies covid-19 symptomatiques, mais sans preuve d’une diminution du risque de forme grave. Ce risque s’est révélé faible dans les deux groupes. Par ailleurs l’efficacité préventive de cette association en cas d’immunodépression n’est pas démontrée, étant donné que moins de 5 % des patients étaient immunodéprimés.

Réactions à la perfusion, réactions d’hypersensibilité et un signal de troubles cardiovasculaires à prendre en compte. Les principaux événements indésirables de l’association tixagévimab + cilgavimab rapportés dans cet essai ont été des : maux de tête, fatigues, toux ; réactions au site d’injection telles que douleurs, prurits et érythèmes ; réactions d’hypersensibilité, notamment urticaires et réactions anaphylactiques (4). Ce profil d’effets indésirables est proche de celui de l’association casirivimab + imdévimab (9).

Certains événements indésirables graves ont paru plus fréquents dans le groupe tixagévimab + cilgavimab : événements thromboemboliques (0,8 % versus 0,6 % avec le placebo), dont une thrombose de l’artère mésentérique ; événements cardiovasculaires (0,7 % versus 0,3 %), dont des infarctus du myocarde (0,3 % versus 0,1 %). Selon les données communiquées par la firme après environ 6 mois de suivi, 5 patients sont morts dans le groupe tixagévimab + cilgavimab (environ 0,1 %) et 3 dans le groupe placebo (0,2 %) (6).

Ce signal de troubles cardiovasculaires est à prendre en compte, d’autant plus que ceux-ci ont aussi été observés dans un autre essai randomisé ayant évalué l’association tixagévimab + cilgavimab chez des patients atteints d’une maladie covid-19 ne justifiant pas d’hospitalisation (4,6). L’Agence française du médicament (ANSM) préconise de ne pas administrer l’association tixagévimab + cilgavimab chez les patients qui ont « au moins deux facteurs de risque cardiovasculaire (dyslipidémie, diabète, obésité, hypertension, tabagisme, sujet âgé) » (2). Cette mesure de prudence limite de façon notable le nombre de personnes susceptibles de recevoir l’association tixagévimab + cilgavimab.

En outre, en se fixant sur la protéine S, il est prévisible que l’association tixagévimab + cilgavimab diminue la réponse immunitaire au vaccin, comme cela a été évoqué avec l’association casirivimab + imdévimab (9). La longue demi-vie d’élimination de l’association du tixagévimab + cilgavimab (de l’ordre de 3 mois) expose durablement les patients à cette interaction (3).

Début 2022, on ne dispose pas de données d’évaluation clinique des éventuels risques liés à l’administration de l’association tixagévimab + cilgavimab chez des femmes enceintes ou qui allaitent (6).

En pratique : début 2022, efficacité préventive incertaine, en particulier sur les formes graves de covid-19 liées au variant Omicron chez les patients immunodéprimés. Au vu des données d’évaluation disponibles début 2022, l’association tixagévimab + cilgavimab diminue le risque de maladie covid-19 symptomatique liée aux variants du Sars-CoV-2 en circulation avant l’apparition des variants Delta et Omicron, sans preuve d’une réduction du risque de forme grave, ni évaluation suffisante chez des patients immunodéprimés. Selon des données in vitro, l’activité antivirale de l’association du tixagévimab + cilgavimab sur le variant Omicron paraît préservée. Le profil d’effets indésirables de cette association est proche de celui de l’association casirivimab + imdévimab, avec en plus un signal de troubles cardiovasculaires qui conduit à l’écarter chez des patients dont les risques cardiovasculaires et de forme grave de covid-19 sont élevés. Début 2022, le variant Omicron du Sars-CoV-2 est prédominant, avec un moindre risque de forme grave de covid-19. Dans ce contexte épidémique, l’intérêt préventif de l’association tixagévimab + cilgavimab n’est pas étayé par des données cliniques. Les patients immunodéprimés et leur entourage ont surtout intérêt à ne pas trop compter sur cette association, et à rester très prudents face aux risques de transmission du Sars-CoV-2.

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Sources :

1- HAS « Décision n° 2021.0312/DC/SEM du 9 décembre 2021 du collège de la Haute Autorité de santé portant autorisation d’accès précoce de la spécialité Evusheld (tixagévimab/cilgavimab) » 9 décembre 2021 : 4 pages.

2- ANSM « Avis de l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé sur la forte présomption d’efficacité et de sécurité du médicament. Tixagévimab 150 mg, solution injectable et Cilgavimab 150 mg, solution injectable dans le cadre d’une demande d’autorisation d’accès précoce… » 14 décembre 2021 : 37 pages.

3- ANSM « RCP-Tixagévimab 150 mg, solution injectable / Cilgavimab 150 mg, solution injectable » 14 décembre 2021 : 24 pages.

4- HAS « Tixagévimab/Cilgavimab. Demande d’autorisation d’accès précoce pour une indication ne disposant pas d’une AMM » 8 décembre 2021 : 27 pages.

5- Ministère des solidarités et de la santé « Mise à jour des informations relatives à l’utilisation des anticorps monoclonaux et des autres traitements en lien avec l’évolution de l’épidémie de covid-19 liée au Sars-CoV-2 : impact de la diffusion du variant Omicron » DGS-Urgent n° 2022-03, 4 janvier 2022 : 4 pages.

6- FDA CDER « Emergency use authorization (EUA) for tixagevimab and cilgavimab review » 30 septembre 2021 2021 : 122 pages.

7- Santé publique France « Covid-19 : point épidémiologique du 17 février 2022 ». Site www.santepubliquefrance.fr consulté le 23 février 2022 : 7 pages.

8- Prescrire Rédaction « Dans l’actualité Variant Omicron du Sars-CoV-2 : début 2022, moins de formes graves qu’avec le variant Delta mais une efficacité vaccinale plus faible » 4 janvier 2022.

9- Prescrire Rédaction « Dans l’actualité Casirivimab + imdévimab (Ronapreve°) et traitement curatif de la maladie covid-19 débutante : à envisager avec des patients à risque de forme grave » 23 décembre 2021.

10- Planas D et coll. « Considerable escape of SARS-CoV-2 Omicron to antibody neutralization » Nature 2021 ; en ligne : 18 pages.

11- « Phase III double-blind, placebo-controlled study of AZD7442 for pre-exposure prophylaxis of covid-19 in adult (Provent) » Site clinicaltrials.gov consulté le 24 janvier 2022 : 10 pages.

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